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En se fermant à ce qui est instinctif et impulsif, aux émotions, l'homme se ferme aussi aux forces de la Grande Nature
qui le porte, le forme, le libère.

K. G. Dürkheim

 

N°1 : L'Animal-thérapeute

           C’était en 2004. Les Collégiales avaient lieu à Lyon cette année-là. On m’avait demandé de faire une conférence sur le thème de l’agressivité. Ce qui m’était apparu aussitôt, c’étaient les moments de plaisir sauvage que je partageais avec mon chat : nous jouions à nous attaquer, et il réveillait en moi ma part animale, à tel point que je sentais tous mes poils se hérisser et ma voix devenir rauque, un état vibrant et sauvage qui m’était inconnu. Cet accès à une autre en moi me réjouissait, ainsi que la sensation d’être complètement dans l’instant présent : le fond s’éclipsait complètement, je me laissais emporter dans le jeu de notre être-mammifère par ces moments intenses d’accordage.

            J’avais intitulé ma communication : « Je voulais être dompteur[1] de fauve, je suis devenue psychothérapeute ». Dans l’après-coup je pense que je cherchais à dompter ainsi ma part animale tout en l’honorant, mais aussi à approcher le mystère de cette présence féline. L’identification au fauve réveillait ma partie sauvage qui n’osait se manifester autrement. Je me souviens avoir fait cette présentation en marchant sans arrêt, tournant en rond comme un lion en cage, ce qui a laissé mon auditoire perplexe…

            Mais l’essentiel est ici dans cette éclosion d’articles que À Dire a moissonnés pour sa première publication. Notre animalité semble nous inspirer : elle restaure en nous la possibilité de redéployer tous nos sens et toute la puissance de nos instincts pour inventer une nouvelle chorégraphie avec les créatures non humaines que nous côtoyons. Serions-nous prêts à nous relier à un fond de vitalité et de fraternité avec le vivant, recouvert par des siècles et des millénaires de technicité, et ainsi à restaurer en nous les capacités nécessaires pour affronter créativement les défis des décennies à venir ?

            Nous osons le trouble, comme le nomment Donna Haraway[2] ou Vinciane Despret[3].  Nous osons penser ce trouble, transgresser les limites de nos attendus, mêler de façon hasardeuse des mondes si longtemps ignorés ou instrumentalisés. Il y a des voix qui nous appellent à penser autrement les choses. Bien sûr nous côtoyons les mammifères (mammifrères) avec lesquels nous partageons l’impératif vital de nous connecter les uns aux autres, comme le souligne S. Porges dans sa théorie polyvagale. Mais il y a tous les êtres, vertébrés ou pas, visibles ou pas, qui peuplent notre environnement. Qui n’a pas été fasciné par l’activité d’une fourmi ?

            Je porte dans ma chair la blessure de la disparition accélérée des espèces. Je suis envahie par une tristesse ontologique, et parfois un sentiment de perte vertigineux. Bien sûr, cela porte moins sur les moustiques (qui d’ailleurs ne vont pas trop mal) que sur les grands fauves. Mais la question n’est pas dans mes préférences. Le regret est dans tout ce que nous avons manqué de faire naître entre nous et les autres espèces qui peuplent cet espace partagé que nous appelons la planète. De ne pas avoir osé être curieux pour évoluer au travers du foisonnement des interdépendances, de ne pas avoir su créer des alliances qui nous auraient permis de nous enrichir mutuellement.

            Et nous, psychothérapeutes, pourrions-nous être dans le regret de ne pas avoir aiguisé nos sens pour percevoir autrement nos patients, de ne pas nous être laissés surprendre par l’inattendu, l’à peine concevable, et ne pas avoir ouvert nos esprits et nos sens à ce qui n’est pas audible, et plus encore, à ce qui n’a pas été répertorié auparavant ? Avons-nous toujours supporté l’intensité des irruptions bestiales ? Avons-nous été suffisamment attentif, à notre patient-fourmi si laborieux, si imprévisible et à la logique de son parcours, à ce qui le faisait dévier de sa trajectoire ? Avons-nous été assez curieux pour le suivre avec l’attente joyeuse de ce que nous pourrions rencontrer et qui ferait naître des agencements inattendus, des façons nouvelles de découvrir et parcourir ensemble des chemins improbables ?

             Dans le même temps, je me réjouis devant toutes ces propositions venant de nos collègues, qui témoignent non pas d’un intérêt objectivant, mais d’une curiosité incarnée pour la question animale : j’y vois la possibilité de nous éveiller à une dimension peu reconnue de notre pratique. Notre part humaine a envie de poser un regard, mettre une parole sur les parts instinctives ainsi que sur l’intelligence surprenante d’un vivant qui nous déborde. Nos expériences de thérapeutes se mêlent aux écrits cités en référence qui ne viennent pas de psys.  Une parole qui se creuse pour se déployer joyeusement au-delà des discours convenus.

            Au travers de ces écrits, des verbes cherchent à traduire ce qui nous relie à l’animal (en nous et autour de nous), à son organicité engagée, à son savoir instinctif. Des verbes comme apprivoiser, orienter, impulser, flairer, palpiter, frémir, désinhiber, négocier, coopérer, s’intriquer, pister[4]… Cette reconnaissance de la condition animale et de son importance pour la survie de notre espèce n’est pas seulement dans l’air du temps et sur le marché des idées. Elle accompagne aussi le retour dans le discours comme dans nos corps d’une partie aliénée, dotée d’un savoir organique, où nous faisons la part belle à notre instinct. C’est un supplément de vie vers ce qui nous lie aux mammifrères et autres bestioles, une façon de nous extraire de notre individualisme triomphant mais obsolète.

             Goodman nous avait ouvert la voie en mettant en avant notre nature animale tout en l’inscrivant dans une critique de la modernité. Plus récemment, Jacques Derrida lors d’une conférence de 1996 sur le thème de l’animalité et dans un livre publié à titre posthume en 2006[5] en a fait un sujet de réflexion philosophique. L’anthropologue Phillipe Descola[6] a fait évoluer nos représentations des rapport nature/culture. Ce qui s’exprime dans ce premier numéro de À Dire a été porté par ces précurseurs (entre autres), et s’actualise dans le champ de la clinique gestaltiste, voisinant avec l’écologie et les neurosciences.

Sylvie Schoch de Neuforn

 


[1] En anglais le même mot est utilisé pour dompter et apprivoiser : to tame

[2]Donna J. Haraway , Vivre avec le trouble, Les éditions des mondes à faire, 2020

[3] Vinciane Despret, Que diraient les animaux, si... on leur posait les bonnes questions ? La découverte, 2014.

     Et Vinciane Despret, Autobiographie d'un poulpe: et autres récits d'anticipation, Actes Sud, 2021

[4] Je fais référence ici à Baptiste Morizot qui piste les animaux, mais aussi au gestalt-thérapeute qui piste les moindres changements corporels qui pourraient être l’infime amorce d’une figure de sens.

[5] Derrida Jacques, L’animal que donc je suis, Gallilée 2006 et Cerisy 1997 video https://www.youtube.com/watch?v=4VeNOeJSVes

[6] Descola Philippe, Par-delà nature et culture, Folio, 2015.

 

 

 Mammal-moi
« Mammifère ! Mammifère !
Est-ce que j'ai une gueule de mammifère [1] ? »

Elle est un animal. Un mammifère. Elle est un petit d'homme. L’Évolution l'a dotée de systèmes puissants pour s'adapter à son environnement. John Bowlby a découvert à son sujet que, parmi ses besoins fondamentaux, l'attachement à un donneur de soins lui offre une base de sécurité fondamentale pour s'élancer et explorer le monde alentours. Plus tard, d'autres appelleront ça le SEEK pour « chercher. » C'est l'histoire d'un mammifère qui n'a pas construit cette base de sécurité auprès d'un autre être humain ou pas assez solidement. Pourtant, elle a grandi. Pourtant, son corps et son esprit se sont développés. Pas le choix, c'est la logique du vivant. Elle est un animal humain qui a trouvé sa sécurité dans l'environnement non humain, et notamment dans la persistance des lieux et des choses dans ces lieux. Dès lors, il convient de laisser ces éléments tels quels au risque d'affoler le petit animal en elle. D'ailleurs, comme les chiens dans leur panier, lorsqu'elle rentre de voyage, elle fait plusieurs tours de chez elle pour se réapproprier sa base vie. En inspectant les pièces, elle en réajuste tel ou tel objet jusqu'à ce qu'elle se sente enfin arrivée. Sinon, elle s'appuie aussi sur le contrôle des événements avant qu'ils ne la surprennent car elle déteste être surprise. Il y a quelques semaines, une théorie est venue à sa rencontre. Comme animal humain doté d'un cortex cérébral, elle aime les théories car elle adore comprendre. Cela augmente son impression de pouvoir agir dans cet univers où la vie l'a jetée et où trop souvent, elle se sent coupée en deux, avec d'un côté une tête qui se délecte de plaisirs intellectuels, et de l'autre un corps agissant qu'elle a plus souvent le sentiment de suivre que de précéder. Avant que Jaak Panksepp n'entre dans sa vie, car oui, il faut vous dire qu'elle entretient un rapport personnel avec les théoriciens comme de vrais gens qui lui rendent visite et qu'elle honore, avant que cet universitaire décédé ne lui apparaisse donc, elle se jugeait beaucoup [2].

Elle avait honte. Honte de ne pouvoir raccrocher les wagons de ses actes à la locomotive d'une pensée corticale bien huilée qui les commanderait. Honte de ne pas piloter d'une stratégie claire son véhicule encore bien trop tempétueux. Cette honte s'exprimait dans le travail qu'elle exerçait depuis plus de vingt ans. Vous l'aurez deviné, elle est gestalt-thérapeute. Cet affect déplaisant l'engloutit particulièrement au milieu de ses pairs, lorsqu'elle les imagine se conduire avec la foi assurée de ceux qui savent se comporter et se diriger. Bien sûr depuis le temps, on lui a très souvent manifesté  de la satisfaction pour ses accompagnements. Mais cela ne la contente pas. « C'est pas le tout d'arriver ici » se dit-elle, « quand on ne sait pas comment on y est parvenu». Car elle souffre d'une blessure inguérissable, d'une plaie tantôt cuisante, tantôt lancinante à n'avoir jamais su dire ce qu'elle pensait faire, ni cru faire, encore moins voulu faire, ni même fait finalement dans son métier. Cette douleur est décuplée lorsqu'elle passe sur le grill en supervision. Que s'est-il passé ? Quelle était votre intention ? Quels signes cliniques vous ont guidé ? Tétanie. Bouche sèche ou pâteuse selon les jours. Ce qui se passe entre elle et les patients lui résiste, matière opaque, obstinément résistante. Elle ne peut que rendre compte d'une « présence jetée » auprès d'eux, toujours vaguement honteuse d'elle-même, une présence qui ne sait pas dire le senti et qu'elle conçoit comme une tare in-amendable. Ça, c'était avant que Jaak ne lui glisse à l'oreille qu'elle était un « animal humain. » Au vrai, elle avait déjà entendu ça quelque part[3]. Mais pas comme avec Jaak. Son nouvel ami, neuroscientifique qui passa sa vie auprès de rats et se consacra à l'affectivité animale et humaine, lui expliqua leur commune « mammal agency.» Rats comme humains sont des mammifères qui disposent de cette aptitude partagée. Ce terme difficile à traduire évoque l'aptitude des mammifères à être acteurs, agissants[4]. Dynamiques et bondissants même peut-être ? Dès lors, elle put faire la paix avec elle-même : « Je suis animale avant d'être thérapeute. »

En présence de nos congénères, notre « mammal agencivity » nous agit. Nos circuits cérébraux les plus anciens mobilisent des émotions, qui mettent instantanément en mouvement nos organismes vivants baignant dans leur milieu sans que notre moi conscient, notre étage noble et cortical y soit toujours pour quelque chose. Ça a lieu. Ça communique avec l'environnement autour. En deçà de toute conscience réflexive aisée, de toute awareness et consciousness gestaltiste, l'animal humain que nous sommes en présence d'autres animaux sniffe, libère des hormones et peut-être raidit-il déjà les muscles à activer dans la situation. Cela s'ajuste souvent avant qu'il y ait eu du moi. Animalité avec nos proches. Animalité aussi avec nos patients blessés. Le répertoire d'ajustement comportemental est prêt à prendre soin du congénère en danger (registre comportemental du PANIC-DISTRESS et du CARE) où quand ça sent une menace vitale imminente, ça prépare la lutte  (domaine du FIGHT) ou la défense du territoire (dimension de la RAGE[5]). Et bien sûr, ça peut aller trop vite. D'ailleurs, nous le savons bien. Ça n'est pas pour rien que nous avons longuement été en psychothérapie, y sommes peut-être encore, et que nous nous mettons sous l’œil bienveillant de nos superviseurs. Depuis longtemps déjà, j'offre mes excuses sincères et intègres lorsqu'il me faut faire avec les effets toujours trop présents de mon animalité désajustée. Mais, jusqu'à ce jour, je n'avais jamais vu cela comme un élément de la « processivité du vivant » dont parle le philosophe François Jullien. Non, jusqu'à ce jour, je le vivais comme une honte à dissimuler, un manque à être « meilleure thérapeute. » Alors bien sûr, pas de blanc-seing pour se sentir autorisé à faire tout et justifier n'importe quoi. Mais se savoir animaux-thérapeutes doués d'un système neuro-affectif ancien, adaptatif et automatisé ainsi que d'un système cognitif plus évolué, qui lui ajoute mots et concepts pour affiner le pilotage, est à accueillir, voire même pourrait nous réjouir ! Merci donc à notre vitalité animale, à cette prodigalité du vivant dont j'ai longtemps eu si honte. Merci aussi à notre champ conceptuel de la Gestalt-thérapie qui offre un écrin à notre honnêteté de praticiens engagés dans leurs relations thérapeutiques. Elle nous permet avec humilité de revisiter à froid les effets, souvent heureux mais parfois trop débordants, des fontaines jaillissantes de nos systèmes émotionnels ultra-rapides. Comme tout animal soucieux du soin de ses semblables qui dispose de ces deux répertoires ne fonctionnant pas à l'identique et qui peuvent toujours mieux s'articuler au profit des patients, nous pouvons gagner en conscience et en paix sur le tempo et la complémentarité de ces deux registres d'activation. La « fenêtre de tolérance » souvent petite et vacillante de nos interlocuteurs invite à continuer à ajuster les ressources affectives à mettre à la disposition de leur croissance, tout en faisant confiance à ce que leur animalité puise en la nôtre, en dehors des mots et sans que nous ne le sachions parfois même tous les deux. Nous sommes des animaux-thérapeutes riches en rebonds, aptes à ajuster leurs sauts. Des animaux munis de « mammal agency. » Et c'est bon.

Stéphanie Feliculis
Gestalt-thérapeute, coach et autrice


[1]Sur la base de la réplique d'Arletty dans Hôtel du nord de Marcel Carné, « Atmosphère ! Atmosphère ! Est-ce que j'ai une gueule d'Atmosphère ? »

[2]Affective neuroscience : The foundation of human and animal emotions, Oxford University Press, New York, 1998

[3]Je spoile... « Animal humain » est bien entendu une formule que nous devons au PHG

[4]La professeure d'anglais et le traducteur professionnel consultés proposent ces éléments de traduction :

- mode d'organisation, mode de fonctionnement propre aux mammifères

- l'expression « mammal agency » fait allusion à celle de « human agency » qui concerne le libre-choix d'agir des humains. Mammal agency désignerait en parallèle le répertoire d'action propre aux mammifères...

[5]Jaak Pansepp identifie sept systèmes émotionnels fondamentaux pilotant l'ajustement comportemental des mammifères. Les systèmes sont : RAGE (colère-rage associé à la défense du territoire), FEAR (peur associé à la protection de soi), SEEK (curiosité), PANIC-DISTRESS ou GRIEF (détresse-panique ou peine associé à la perte des figures d'attachement), CARE (soin), PLAY (jeu) et LUST (désir sexuel).

 

Aux aguets...

            La biologie, l'éthologie, l'écologie, où êtres vivants et environnement se rencontrent et s'influencent l'un l'autre, alimentent depuis toujours mes questionnements. Des revues spécialisées envahissent les kiosques, les émissions culturelles et scientifiques se multiplient. Les animaux de compagnie ont pris une place particulière dans nos vies. Nous faisons preuve souvent d'anthropomorphisme, leur prêtant des émotions bien humaines. Ne seraient-ils pas devenus des supports projectifs facilitant l’émergence de nos ressentis ? Aurions-nous oublié que nous sommes des vertébrés mammifères, animaux doués de raison bien sûr, mais animaux d'abord ?

            Aussi le thème proposé m'a-t-il mise en éveil... Mon corps s'est tendu comme un félin en quête de proie. Mes sens se sont affûtés. Serait-ce une sensation d'excitation ? Il y a de l'indéfini. Mon esprit est grand ouvert, prêt à accueillir l'inattendu.

            En effet quel animal-thérapeute suis-je ? Comment se manifeste-t-il ? De quelle manière agit-il ? Quelles couleurs donne-t-il à mes choix et décisions ?

Il lui a fallu du temps pour exister dans mon cabinet, je dirai plutôt que j'ai attendu un long moment avant de lui faire confiance. Maintes fois il a tenté sa chance, frémissant, avant que je ne l'entende. Accepter l'animal en nous, c'est prendre un risque : celui de faire de la place à nos perceptions, sensations, intuitions, émotions et de les écouter. Ces réactions quasi-instantanées nous envoient un signal global qui se déploie subrepticement à l'intérieur de nous et laisse une impression floue. Elles précèdent d'une bonne longueur d'avance nos raisonnements. Le corps parle.

            Laisser vivre cette animalité, c'est juste accueillir ce qui surgit là, ici, maintenant, tout de suite, dans la rencontre avec la nouveauté. Passer de la consciousness à l'awareness. Dans ma pratique de gestalthérapeute, il est des moments particuliers où j'accorde toute sa place à ce mammifère. Mon cerveau emmagasine alors en un temps record, une multitude de détails qui me serviront dans la suite du travail.

            Cette bête devient pleinement mon alliée lorsque débute une thérapie. Je ne sais rien de l'autre. C'est un inconnu qui vient à ma rencontre, sur mon territoire. J'aurai à le laisser approcher, à l'observer, presque à le flairer, pour favoriser la rencontre. Tout ce processus de face à face requiert quelques préparations. C'est un chemin de découverte qui se construit pas à pas. Le premier message téléphonique m'offre une multitude de renseignements. Je ne réponds jamais directement à un futur patient. J'ouvre grand mes oreilles, comme une antilope aux aguets, attentive à la qualité, à l'intensité de cette nouvelle voix. Je la laisse pénétrer dans mon corps. Féminine, masculine, indéterminée ? Comment suis-je impactée par sa puissance sonore, forte ou douce, par sa vibration, en résonance ou non, par son timbre, grave ou aigu, par son rythme, lent ou rapide ? La musicalité est-elle agréable ? Je la laisse m'imprégner. J'attends et digère. Je rappelle plus tard. Nous sommes maintenant deux voix en présence. Je focalise mon attention. Comment cette rencontre sonore m'affecte-t-elle ? Puissante ou à peine audible ? Que se passe-t-il entre nous ? Contact aisé, spontané ou plutôt hésitant, haché ? Nous accorderons-nous ? Nous convenons d'une première rencontre. Mon imaginaire se réveille alors et crée un possible client.

            C'est le jour de notre premier rendez-vous. J'installe mon bureau, y mets de l'ordre, le parfume délicatement. Il est important que tout soit en place pour la sécurité de l'animal-thérapeute : livres, agenda et crayons à portée de mains, mouchoirs, verres d'eau, gel et masques au cas où. Mon cabinet, c'est ma tanière. Dès son entrée, l'animal-client récoltera lui aussi un tas d'indices : couleurs, décoration, mobilier, clarté, odeurs lui diront déjà un peu qui je suis. Sur le qui-vive, je guette. Un coup de sonnette brise le silence. Je sursaute. Est-il bref ou insistant ? Il ou elle va arriver. Je tends l'oreille : ce bruit de pas sur le gravier est-il rapide ou lent, léger ou plus lourd ? La silhouette apparaît, féminine ou masculine. Je suis à contre-jour, le patient me devine à peine. Je le vois déjà. Je suis prête. Mes yeux mémorisent taille, corpulence et couleur de peau, style et allure. Ces éléments sont-ils plaisants, déplaisants ? On dit souvent « l'habit ne fait pas le moine », pourtant que d'indications ! Y a t-il de ma part une envie d'aller vers ou un réflexe de recul ? Je m'approche, hume ce nouvel effluve qui laisse une trace dans mon territoire et dans mon cerveau. Agréable, inodore, nauséabonde ? Je tends alors la main, premier contact peau à peau. Doux ou rugueux, tonique ou mou, dynamique ou fuyant ? Dans le même temps, nos regards se rencontrent. Est-il franc et insistant ou timide et furtif? Nous sommes deux créatures, face à face. Qui va rompre le silence ? Je me pose et écoute. Nous nous dévisageons. Les informations sensorielles affluent de part et d'autre, le compteur tourne très vite. S'accroche-t-il à ses affaires ou les dépose-t-il de manière négligée sur un fauteuil. Où va-t-il s'asseoir, comment le fait-il ? Décontracté dans les coussins du canapé ou raide sur le fauteuil?

            L'entretien démarre. Nous nous apprivoisons peu à peu. A la fin de ce premier rendez-vous, je noterai tout ce que j'ai pu mémoriser consciente que ces premières informations sont des points de référence, des clignotants lumineux, qui resteront actifs, tout au long du travail thérapeutique. Le second contact sera beaucoup plus facile. Et les autres suivront, si le client le souhaite. Nous nous découvrirons, maintenant une distance plus ou moins grande. Il osera se dire, toujours un peu plus, se laissera aller, réduira le contrôle. Je me dévoilerai. Nous entrerons dans la danse. La confiance s'installera. Le lien se tissera. Mon territoire deviendra un peu le sien. Il prendra ses marques et le colorera de sa présence.

            Et, si le temps le permet, nous nous engagerons et entrerons dans une nouvelle relation... Celle d'un animal-client existant en face d'un animal-thérapeute.

Brigitte Baronetto

Gestalt-thérapeute diplômée de l’EPG, sensibilisée à la question de la parentalité, accueille les adultes, enfants, adolescents et leurs familles dans les Bouches-du-Rhône.

                                                                                                                      

                                                                                                                     

Anim-alité humaine en thérapie

Être au monde, c’est être un corps par lequel le monde se rencontre de façon immédiate. C’est par cette unité anatomique, dont nous ne contrôlons pas le fonctionnement la plupart du temps, qu’une intelligence du vivant déploie son art pour rester sur un mode viable quelles que soient les circonstances.

Ce corps est taillé pour vivre. Il est le fruit d’une évolution qui a traversé bien des circonstances adverses et a su déployer un art certain : celui de l’adaptation, clé de la survie quand vivre n’est pas possible. Il est doté d’un savoir organique, animal, qui apprend et s’actualise à chaque expérience afin de développer des compétences pour s’ajuster de la façon la plus appropriée pour être en vie, croître et perdurer. Ces aptitudes et cette façon de développer de la connaissance sont en nous. Ce savoir « animal-thérapeute » est profondément impliqué dans l’expérience thérapeutique au-delà de notre champ attentionnel, et bien souvent de notre conscience.

Je vous propose d’explorer la place du corps/animal thérapeute et son influence sur la séance de thérapie.  Ce « ça » en action, cette connaissance implicite du champ organisme/environnement, fabrique de la connaissance et la conscience de l’expérience.

1 –Présence du savoir animal

Ce savoir animal construit ses aptitudes et compétences en rencontrant d’autres corps à partir du stade de son développement. Les stimulations environnementales et affectives jouent un rôle prépondérant dans l’orientation du devenir des capacités de notre corporalité.

Il apprend ainsi : face à un humain ou un animal, quelque chose s’alerte et écoute les sensations que cela éveille. Puis s’organise un agir bien souvent implicite. Notre cerveau reptilien, le plus archaïque, régi pour notre préservation, veille.

Notre corps est doté de la faculté de se mouvoir grâce à ses membres. Ce faisant, il explore spatialement ce qui est autour de lui, et s’ouvre alors un rapport au monde par les sens. C’est son mode principal d’accès au monde. Par nos bras, nous prenons et entourons, par nos jambes nous nous déplaçons, et par notre tronc nous nous orientons. Par la vue, nous visons le proche et le lointain du monde, etc. Le monde nous sollicite passivement. Allons-nous répondre ou non ? Si oui, nous ouvrons un « je peux ». Le mouvement du corps est à l’origine de ce « je peux », contrairement à ce que l’on pense communément. L’action de penser arrive dans notre évolution corporelle bien plus tard. Elle viendra contrôler, voire vouloir prendre le pouvoir sur le possible.

Si nous continuons à explorer le mouvement du corps, nous voyons qu’il est l’expression de l’orientation du corps « disposé à ». Par l’intentionnalité du contact, il construit la « directionnalité » de la conscience. Ce mouvement corporel est le centre d’orientation premier, de l’ici permanent, du maintenant absolu par lequel le monde s’apparaît, se dévoile, sort de son opacité et de sa densité. Le corps est collé au monde. Corps et monde se dévoilent en même temps. Ce corps anatomique, ce corps organe est le détenteur du possible. Tant que ses fonctions le permettent, alors il peut. Sinon, il ne peut pas ou ne peut plus du tout.

Avons-nous déjà pensé que la teneur et la qualité de ce qui se passe en séance sont impactées par le corps ?

Ce jour-là, Léa arrive avec un gros rhume. Elle se mouche tout le long de la séance. Son nez bouché perturbe son élocution et cela construit quelque chose qui se bouche, s’obstrue, s’encombre régulièrement dans la séance, quelque chose qui demande à être évacué au sens premier du terme. Nos échanges sont ponctués et arrêtés par le bruit qu’elle fait en se mouchant. Elle a toute une gestuelle visant à contraindre ses écoulements ; elle a recours à de nombreux mouchoirs qui s’accumulent et participent à notre séance.

Ces corps à corps présents en silence ou se manifestant à travers leurs fonctions en défaut ou en surinvestissement prennent bel et bien part à cette rencontre. La chair de l’instant s’articule sur la chair des corps.

Cyril observe que ne m’ayant pas vu depuis longtemps, je lui ai manqué. Nos séances ont pourtant eu lieu par téléphone. Je m’en étonne. Il me regarde avec une malice dans les yeux, et me dit en désignant mon corps :

« C’est ça qui m’a manqué. Je m’apaise quand je suis auprès de quelqu’un. En l’absence de ma copine, je deviens plus nerveux. Je m’en suis rendu compte récemment. Alors qu’elle rentrait, j’ai senti mon corps se relâcher. La présence physique a un impact calmant sur moi. »

T : « calmant par rapport à quoi ? »

Il cherche un moment. Ces minutes qui s’écoulent en silence, laissent un espace où nos corps s’éprouvent l’un l’autre.

Je perçois que quelque chose de la mémoire implicite, cette mémoire sensorielle, travaille, et livre par bribes les informations dont elle est porteuse. En effet, le comportement, l’attitude qui est à l’œuvre est modelée par elle via des expériences aboutissant à des conclusions corporelles implicites. Elles sont tirées de l’expérience mémorisée, sans nécessairement être associées à un contenu re-mémorable en tant que tel. Nous vivons la plupart du temps sans retenir l’ensemble des éléments de notre vie. Ce savoir corporel ne passe pas par un apprentissage conscient. Je perçois Cyril en train de conscientiser ce qui affleure, qui perçoit à l’instant même qu’il se passe quelque chose. La conscience directe de vivre une expérience est en train de devenir réflexive. Il est en train de quitter son mode d’être naturel pour basculer sur le mode d’appropriation de ce qu’il est en train de vivre.

En mémorisant de façon passive ce que nous vivons, seul ce qui va nous toucher ou nous affecter nous orientera dans un savoir-faire qui échappe souvent à notre cognition. Nous adapter demande d’aller plus vite que ne peut le faire notre pensée. En fait la connaissance directe qu’à notre corps de ce qu’il vit et qui l’oriente ignore son contenu tant qu’il n’a pas été réfléchi. Des actes seront indispensables pour passer de l’un à l’autre, et révéler ce savoir implicite de notre être auprès d’un monde et le rendre ainsi explicite. Ce processus de réfléchissement - prise de conscience réflexive - est la condition d’accès à ce qui nous a affectés et dont nous n’avons pas connaissance.

Dans le cas de Cyril, je m’aperçois que je ne suis pas juste un corps mais un corps investi dans ma présence charnelle par lui. Le fait que je sois un corps en vie avec lui l’impacte et oriente la situation presque à notre insu.

2 – la résonance animale

Ce corps originaire via ses processus physiologiques, ses capacités motrices, communique. Il a un langage, il s’exprime tout le temps.

J’écoute Céline. Mon attention est entièrement tournée vers son corps, ses paroles et tout à coup mon ventre se met à gargouiller. Elle sourit tout en continuant à parler. Elle pose la main sur son ventre comme si elle voulait contenir un éventuel gargouillis ou le mien. Je souris intérieurement. Puis elle s’arrête, hésite et se décide à me demander un verre d’eau. Elle boit, pensive, s’exprime : « Ah ça va mieux, j’avais très soif ». Elle enlève sa veste, me regarde et me dit : « j’ai chaud maintenant ». Je souris.

Tous ces mouvements corporels participent à la séance et installent une certaine corporéité. C’est comme si nos corps, au-delà ou en deçà des paroles, poursuivent une vie en fond dans un rapport figure/fond constant. Comme si notre animalité,  processus vital, instinctif, soutenait un système d’engagement social, d’exploration, de rencontre, de découverte. Il oscille entre gestion de la peur et excitation de la nouveauté dans un phénomène de résonance constant. L’autre est une passerelle, un humain comme nous, qui de son animalité, de son vivant, crée tous les jours les contours de son humanité. Il s’agit de sa conquête à être là.

Oscar me parle de cette période de privation sociale. Absolue pendant la période de confinement, ou aujourd’hui plus subtile, avec ces lieux inaccessibles à moins d’y être admis grâce à un pass sanitaire, il est effondré. Il en a développé un torticolis qui ne le lâche pas.

Nous traversons les mêmes évènements sociaux et je vis comme lui cet espace partagé, conditionnel, entamant notre envie d’engagement social, sevrant notre soif de relations, restreignant nos appétits corporels au strict nécessaire, excluant nos désirs d’apprendre, de découvrir, de vivre du plaisir à travers la culture, des activités sportives. Cela restreint la nécessité de penser. Nos besoins vitaux sont mis à la rude épreuve de l’utile, l’efficace, le scientifiquement prouvé et non éprouvé, l’épreuve de vivre la solitude, l’isolement, la menace. L’animal en nous, qui cherche à se mouvoir dans les espaces de son vécu, se trouve entravé. Je ne peux que constater la forme que cela prend chez Oscar, une forme de supplice comme s’il portait constamment un carcan autour du cou.

Son corps ne peut plus se déplacer et embrasser le monde dans son mouvement naturel. Il est contraint. Il se fatigue, s’éreinte, plie ou ploie sous le poids de ce temps qui dure et enserre sa capacité à se mouvoir. La douleur physique est là, se joignant au cortège d’émotions qui l’envahissent et expriment « l’éprouvé-éprouvant » de vivre ainsi. Et nous sommes là en présence de ce corps qui cherche dans le fauteuil comment se disposer pour ne pas trop souffrir et moi qui vois son corps se tortiller. Je suis avec de l’impuissance, un fond de révolte, de colère, et un abattement. Le souvenir des paroles d’autres patients me traverse. Le silence s’installe et les vagues de la résonance de ce dont nos corps sont porteurs percutent ce moment d’impuissance partagée. Ça circule de corps à corps, ce n’est pas du dangereux qui nous mettrait en demeure d’agir, et donc en situation de stress, non, c’est plutôt l’autre versant d’une lutte qui dure et finit par user, saper le mouvement. Ça retombe sans cesse, à tel point qu’il ne peut plus baisser la tête sans avoir, au sens propre, mal.

L’immobilité s’installe peu à peu, ce n’est pas le figement, c’est le « à bout de force » qui est là. L’immobilité dure, et peut-être permet-elle que la lutte cesse ? Je le vois qui laisse sa tête aller en arrière sur le dossier du fauteuil, il la tourne légèrement. De la surprise arrive avec un masque de fatigue extrême. La respiration s’approfondit et un souffle de soulagement surgit. Il ferme les yeux comme pour savourer cet instant. Je me sens me détendre également comme si la tension me quittait.

Passe un moment, sans que rien n’affleure. Je me demande presque s’il ne s’est pas endormi. Je réalise que je l’attends dans cette insolite situation où je me sens seule, et en même temps, je sens que quelque chose est en train de s’ajuster. Je ne bouge pas, comme aux aguets, comme si mon corps m’intimait de ne pas me mouvoir, de ne décider d’aucun mouvement, d'aucune orientation. Juste attendre qu’il prenne les commandes de notre mouvement commun dans la séance. Je prends conscience que le corps est complètement à l’œuvre dans ce que nous vivons, que c’est lui qui cherche et développe l’orientation possible du mouvement suivant. Ce suspens, étonnamment, ne pèse pas, le temps semble disparaître. Après ce long moment, nos yeux se rencontrent, quelque chose se fixe. Qui va bouger et faire ainsi basculer vers l’ensuite ? J’attends. Il finit par cligner des yeux et s’aperçoit éberlué qu’il peut bouger la tête davantage dans des mouvements impossibles juste avant. Nous sourions. Magie de la vie ou du corps qui sait comment être thérapeute pour lui-même et s’orienter pour trouver le meilleur ajustement possible à la situation ?

En conclusion

Je dirai que l’animal thérapeute est en chacun de nous, et qu’en séance thérapeutique il peut d’autant plus déployer et son savoir et son apprentissage, pour parfaire les connaissances de son être au monde. Là, plus qu’ailleurs, puisque c’est son sujet premier, la dimension thérapeutique est à l’œuvre. L’épaisseur du temps peut s’y déplier tranquillement, calmement, et se réserve à cela. L’awareness favorise la construction de la conscience réflexive. Mais la perception directe, immédiate, de notre être au monde se fait sans notre cognition et réflexion. L’indissociabilité permanente actualise le possible en construisant des phénomènes qui, en touchant la perception, l’influence, l’organise aussi d’une certaine façon, autant qu’elle organise les phénomènes entre eux pour construire de la conscience (au sens de : j’ai conscience de). Ce « il y a » en acte, direct du champ des possibles duquel la perception émerge, est bien plus rapide dans son mode d’apparition en action, comme un pouvoir instinctif, pourrait-on dire. Le « Je m’aperçois de ce qui se passe » arrive dans un second temps et construit notre perception d’être au monde en un tout cohérent. Sacrée dimension animale !!!

Régine Cludy

Gestalt thérapeute, formatrice et superviseure exerçant à Paris. Directrice pédagogique de l’école de formation à l’accompagnement thérapeutique Savoir Psy.

À l’ombre d’Ombrelle

Sabine, le teint pâle les traits tirés, s’installe sur le canapé, les yeux remplis de larmes. 

- Esther, je suis tellement triste, j‘ai fait piquer ma petite chienne Ombrelle hier. Sa main caresse le velours du canapé, comme pour sentir la chaleur, la présence de son animal, l’épagneul du Tibet qui l’accompagne depuis 6 ans, recueilli à la mort de sa mère. Je fais le lien entre la perte de sa mère et l’attachement à cette compagnie animale.

J’ai maintes fois accueilli dans mon atelier Sabine et la petite boule à poils aux yeux noirs profonds, qui nous accompagnait de son souffle haletant de ses mouvements de langue, de ses grognements canins. 

Le silence qui s’installe dans notre espace s’accompagne de larmes, de reniflements, de soupirs. 

Je lui prends les mains, je lui demande « Tu as envie de me parler d’Ombrelle ? »

Elle me décrit alors les instants de rituels qui rythment leur « vie de couple », expression qu’elle utilise elle-même. Au cours de son récit, un léger sourire éclaire subrepticement son visage.

Après un long silence Sabine reprend :  

- Je me souviens d’un rêve fait il y a 6 mois. Je lui propose de me le raconter au présent. 

- Je vois Ombrelle en haut d’une montagne, c’est au Tibet. Elle progresse dans son ascension. Comment fait-elle pour gravir cette paroi aux flancs lisses ? Je détourne mon regard, l’estomac serré, je ne veux pas assister à la chute inévitable. Pourtant je jette un bref coup d’œil en direction de la masse rocheuse et à ma grande surprise, je vois Ombrelle qui s’avance vers moi. C’est la fin de mon rêve. 

Je remarque sa respiration plus ample et régulière. Elle referme les yeux. Elle semble apaisée. Peut-être que ce rêve « prémonitoire » est venu à point pour anticiper le deuil de la petite chienne et le métaboliser ?

Pour Sabine, ce conte résonne comme un parcours initiatique. L’animal y prend une place magique et symbolique. Si Ombrelle n’est plus là en chair et en os, elle continue d’être présente. Se souvenir des disparues, telle la chère petite chienne ou la maman partie prématurément, rend les êtres immortels. La découverte de cet abri, à l’ombre d’Ombrelle, ouvre la possibilité de nouveaux voyages pour Sabine, sur le chemin thérapeutique et pourquoi pas réaliser le rêve d’un voyage au Tibet ?

Esther Galam

Gestalt-thérapeute, Art-thérapeute, coach, diplômée des Art-décoratifs de Paris, de l'école des Beaux-arts d'Israël Betzalel, de l’École Parisienne de Gestalt, des Universités de Paris 5 et Paris 8.

La bête frémit en nous

Tant que vivante, animale je suis. La bête tapie en moi bruisse, ronronne, vibre et pourrait se mettre à rugir en certaines circonstances. Notre vitalité réside dans notre animalité et cette animalité réserve parfois quelques surprises. Tantôt elle sommeille, toujours elle veille et parfois se réveille comme une force indomptable. Cet élan vers le monde s’appuie sur notre réceptivité et notre sensorialité. Nos cinq sens sont nos capteurs et orientent notre « aller vers ». Nos entrailles réagissent viscéralement aux fluctuations internes et externes. Frémissante à la frontière-contact, l’ouverture se produit dans les deux sens, de l’environnement vers l’organisme et de l’organisme vers l’environnement, telle que décrite dans la perspective champêtre de la Gestalt-thérapie.

La bête en nous

Par son ouvrage « L’origine des espèces » (1859), Darwin fit scandale parmi les scientifiques de la « bonne société » britannique et surtout parmi la chrétienté. Son hypothèse fondatrice et révolutionnaire contestait l’origine biblique de la création. Installer l’homme dans une filiation animale choquait les représentations acquises et perpétuées par les croyances judéo-chrétiennes, en particulier celle de nous croire « enfants de Dieu ». Vous pouvez imaginer à quel point ce propos invraisemblable qui transformait l’Homme-Dieu en Homme-bête était dérangeant, voire inadmissible. Si déjà l’humanisme de la Renaissance avait introduit du doute dans les certitudes religieuses médiévales, la distinction radicale entre l’homme et la bête restait nécessaire pour conserver notre suprématie sur le règne végétal et animal, en renforçant notre potentiel de raison et de maîtrise. En particulier, la doctrine cartésienne considérait l’animal comme une machine dénuée des facultés de pensée et de conscience de soi. Cette vision mécaniste a influencé en profondeur la pensée occidentale pour qui le concept d’humanité ne prend sens que par opposition à celui d’animalité.

Pourtant le siècle des Lumières puis la révolution française ouvrent une autre manière d’observer cette distinction. Notamment apparaît chez certains penseurs une morale et une révolte contre la maltraitance des animaux et la consommation de viande, assimilée au cannibalisme. En 1850, l’Assemblée nationale adopte la première loi de protection animale. Dans la même décennie, Darwin publie sa théorie révolutionnaire qui s’appuie sur des arguments scientifiques et pas seulement philosophiques. Cependant les générations qui suivent ces découvertes continuèrent d’entretenir les croyances justifiant la différence entre l’humain et l’animal en méprisant « la bête en nous »[1]. Reste à trouver selon quels critères ériger l’humanité au-dessus de la masse bestiale, prétendue vide d’intelligence et d’émotions. La tâche des anthropologues consistant à considérer notre filiation simienne et réhabiliter le processus de développement cérébral des enfants de Néandertal et de Sapiens en perpétuelle interaction avec l’environnement se poursuit de nos jours.

Animalité goodmanienne

Les fondateurs de la Gestalt-thérapie ont choisi de s’intéresser à l’organisme, donc à notre physiologie. Parmi eux, souvenez-vous, c’est Paul Goodman qui insiste le plus sur notre nature animale et la nécessité de coopérer avec la nature plutôt que de chercher à la dominer. Sa « sagesse écologique » englobe l’ouverture aux forces naturelles de la réalité extérieure en renouant simultanément avec les énergies internes de notre organisme. Comme un animal, l’homme est fait pour vivre selon les lois de la nature et non pas dans « le cadre étriqué et sclérosant d’un zoo, fût-il celui de la société industrielle organisée. »[2] Dans un contexte totalitaire, l’homme serait réduit à vivre comme une bête domestiquée, traquée, chassée.

De ce naturalisme découle une forme d’anarchisme qui amène Goodman à contester notre civilisation moderne. Il s’emporte contre les méfaits de la société libérale : « Dans la plupart des affaires humaines il résulte plus de mal que de bien de la coercition, du mode de gouvernement vertical, de la planification bureaucratique, des programmes scolaires préétablis, des prisons, de la circonscription, des États. »[3] Dans le fil d’une tradition anarchiste, l’auteur avance que l’abolition du pouvoir permettrait la régulation des groupes humains : « Supprimez l’autorité, et vous aurez non pas le chaos, mais l’autorégulation et l’ordre naturel. »[4]

Entre deux pôles haïssables, l’égotisme individualiste et la puissance étatique, Goodman valorise notre animalité. Cédant au fantasme d’une mère-nature contrainte par la limite de la culture, il nous invite à fusionner érotiquement avec le monde. Plus encore que « l’homme animal », c’est « l’animal social » qui importe. En effet, comme le loup qui n’est pas solitaire et vit dans une meute, l’homme doit composer avec ses semblables pour multiplier ses ressources. Libérer les pulsions instinctives risquerait de nous plonger dans la violence de la loi de la jungle alors que la force humaine puise ses ressources dans la dimension collective. Ainsi l’accent est mis non seulement sur notre animalité mais sur notre sociabilité.

Dans la foulée de ces avancées, Goodman met en évidence le paradoxe de la société technologique qui sépare l’homme de la nature et l’éloigne de l’appartenance à son espèce. Cette société procure un bien-être matériel et conjointement enferme l’homme dans une quête consommatrice sans fin, oblitérant ses besoins animaux. La préoccupation écologique de protection de la nature, très présente chez ce visionnaire, anticipe les problématiques de dégradation de la planète. Il y a déjà soixante-dix ans, ce penseur dénonçait sous le terme de « maux permanents » : la pollution des fleuves, les embouteillages et l’entassement des villes.[5] Selon Bernard Vincent, ce que Goodman reproche à l’urbanisme moderne, « c’est précisément d’avoir inversé l’ordre des valeurs, d’avoir détrôné les fins au profit des moyens et d’avoir ainsi permis à l’économique de dicter en maître tous nos choix. »[6] Le temps a passé et aggravé ce processus de mécanisation de la société avec un risque de robotisation de l’être humain.

Éliminer la bête

Lorsque je navigue sur internet à la recherche des synonymes du mot « animalité » je trouve : abrutissement, bassesse, bestialité tandis que les antonymes proposés sont esprit, humanité, spiritualité. Cette sémantique semble significative des représentations occidentales de l’opposition radicale entre animalité et humanité. Mais ne trouvez-vous pas surprenant que non seulement ces termes s’opposent mais qu’en outre soit glorifié ce qui relève de l’humanité associée à la spiritualité au mépris de la bassesse de l’animalité ? Et que soit également magnifié l’esprit au détriment de la bêtise et de la bestialité ? Nous retrouvons ici la prégnance du dualisme entre le corps et l’esprit.

Notre incarnation, faite de chair et d’os, ne nous distingue pas des autres mammifères.

Mais la pensée ambiante qui entretient l’écart entre l’homme et la bête nous encourage à renier la dimension charnelle et sensorielle de notre être au monde. En particulier, il paraît dommageable que, disposant de cinq sens pour échanger avec l’environnement, deux canaux deviennent privilégiés au détriment des trois autres. Notre civilisation valorise la vision et l’audition comme les sens intellectuels par excellence, garants de l’objectivité et du savoir. Ce conditionnement est renforcé par l’apprentissage et l’éducation. Alors que les fonctions du toucher, du goût et de l’odorat rabaissent l’homme du côté de l’infériorité et de la brutalité sauvage de l’animal indomptable. Le développement des techniques de communication numérique amplifie ce phénomène. La connexion est exclusivement orale et visuelle. Toucher, goûter et sentir ne sont pas possibles à travers l’écran. Cette atrophie de nos facultés nous invalide et transforme profondément notre manière de vivre et d’échanger. Cette privation à long terme modifie notre rapport au monde.

C’est principalement dans notre corps que se manifeste notre animalité. Mais les mœurs contemporaines poussent à posséder un corps standard et performant qu’il faut dresser comme on le ferait d’un animal domestique. Pourtant ce corps traduit nos émotions et échappe à la raison. Si bien que le contexte sociétal tend à maîtriser ces effets délétères par des mesures de précaution excessives. Cette tendance radicale engendre parfois des dysfonctionnements psychologiques, par exemple :

  • L’exigence de propreté, la chasse aux odeurs et aux écoulements, produisent des problèmes dermatologiques : irritation, eczéma, séborrhées, etc.
  • La recherche esthétique, les canons de la silhouette, le contrôle du poids ou du régime alimentaire peuvent occasionner des troubles tels l’anorexie et la boulimie.
  • La multiplication des principes de précaution pour tenter d’éviter les incidents, de maîtriser les loupés, renforcent notre anxiété et génèrent parfois des pathologies telles les phobies, les troubles compulsionnels et obsessionnels.
  • La modélisation des objets et du confort imprime une normativité qui vient tiédir les expériences et nuire à la créativité. L’anticonformiste passe pour un original bien sûr, mais pire, pour un dégénéré ou un révolté, voire un complotiste.
  • Les assurances et garanties qui doivent anticiper tous les dangers sous peine d’une menace de dépôt de plainte justifient les tendances paranoïaques.

La vulnérabilité et les failles n’ont pas de place dans ce monde aseptisé. Notre animalité, qui peut se manifester par une impulsivité débordante ou une fragilité déprimante, est assimilée à la faiblesse et jugée péjorativement. Mon hypothèse est que plus la société réprime notre appartenance animale, plus celle-ci prend des formes excessives telles l’exclusion et la violence.

La bête confinée

Depuis deux ans, la menace épidémique impose des mesures de protection plus sévères encore que celles que je viens d’énumérer. Le dispositif sanitaire recommande une série de précautions : gestes barrières, port du masque, distance sociale. Sans remettre en cause ce dispositif nécessaire pour limiter la contamination, nous observons ses effets sur la communication[7] :

  • « Les gestes barrière » perturbent « l’aller vers » le monde. L’accueil de l’autre est contrôlé, la spontanéité des élans affectueux se trouve freinée, la joie des retrouvailles difficile à exprimer. Nous sommes amenés à inventer des manières inhabituelles de nous saluer et de nous quitter.
  • « Le port du masque » nous cache. L’expression du visage est tronquée, déformée. Privés du sourire ou de la grimace, nous nous centrons sur le regard et apprenons à décrypter ces nouvelles formes d’échange.
  • Le respect de la distance physique nous éloigne les uns des autres. Restreindre la proximité des corps est compréhensible dans ce protocole de prudence, cependant le terme choisi de « distance sociale » induit de la confusion car il suppose un éloignement relationnel et pas seulement corporel.

Bref, pour se protéger du virus, nous sommes conduits à nous méfier les uns des autres. Un climat de peur s’instaure, la confiance fait place à la méfiance, la réceptivité devient défensive.[8]

Qu’en est-il de notre animalité et de notre corporéité dans cette ambiance précautionneuse ? Les dispositions recommandées contre la propagation du virus favorisent les facultés mentales comme le propre de l’homme au mépris des modalités sensorielles, affectives, émotionnelles : « En masquant la réalité de la rencontre physique, l’expérience est recentrée sur une perception amoindrie du corps au profit de celle de l’âme (psyché), réactivant en quelque sorte la dichotomie corps/psyché, tendant à réinstaller l’intérêt essentiel sur le langage des mots plutôt que sur celui du corps dans toute sa multiplicité et sa subtilité. »[9]

La Gestalt-thérapie récuse ce dualisme en prônant une perspective unitaire dans laquelle l’existence humaine est d’abord organique comme l’existence animale. Nous appartenons à la même espèce friande de la vie ! Dans les conditions actuelles de disette, notre approche, valorisant l’appétit pour le monde dans une saine agressivité, se trouve muselée et rationnée. Mais a contrario, nos patients ont particulièrement besoin de cet espace de liberté réconciliant corps et esprit dans un continuum, qui leur permet de ressentir tout leur potentiel animal.

Pour conclure

À une époque qui favorise la maîtrise, la technique et la croissance, la survenue d’un virus improbable nous fait contacter l’incertitude et l’impuissance. Cette synchronicité nous interpelle. Ne trouvez-vous pas remarquable le développement simultané des initiatives et des inventions écologiques ainsi que la profusion médiatique (publications et cinématographie) sur le thème de l’animal ? Comme si, pour compenser l’aridité de l’évolution planétaire, l’homme éprouvait la nécessité de se sentir vivant parmi les vivants en rendant grâce à notre animalité fondatrice. Cette tendance se manifeste à la fois dans le besoin de nature impérieux réveillé par les confinements successifs, la sensibilisation à la maltraitance motivant un militantisme pour la protection animale, l’engouement pour les bêtes de compagnie offrant l’expression d’un attachement réciproque. Et peut-être l’attrait pour des formes d’accompagnement thérapeutique, îlots de vie relationnelle, qui prennent en compte notre besoin de tendresse ?

Chantal Masquelier-Savatier

Psychologue clinicienne, Gestalt-thérapeute, superviseure, formatrice et autrice. Exerce à Paris.

 

 

           

 

 

 

 

 


[1] Titre de l’ouvrage de Jessica Serra, HumenSciences, 2021

[2] Cité par Bernard Vincent, Pour un bon usage du monde, Desclée de Brouwer, 1979,  Réédition Présent au monde : Paul Goodman, L’Exprimerie, Bordeaux, 2003, p. 152

[3] Cité par B. Vincent, ibid. p.152

[4] Cité par B. Vincent, ibid. p. 153

[5] Cité par B. Vincent, ibid. p. 152 à 156.

[6] Cité par B. Vincent, ibid. p.127

[7] Voir Chantal Masquelier-Savatier, « Que devient le contact en situation de pandémie ? », in Crise sanitaire : penser, agir, s’ajuster, Revue Gestalt n°56, SFG, 2021.

[8] Voir Sylvie Schoch de Neuforn, « Crise épidémiologique, crise de cohérence », in Cohérence, Co-errances, Cahiers de Gestalt-thérapie n°44, L’Exprimerie, Bordeaux, 2020.

[9] Le comité de rédaction des Cahiers de Gestalt-thérapie, « De l’actuel au virtuel », in Ce qui est tu, Cahiers n°45, L’Exprimerie, Bordeaux, 2021, p. 153.

J’ai lu Sur la piste animale,
de Baptiste Morizot, publié chez Actes Sud et chez Babel.

Parfois, au détour d’une page parcourue d’un œil un peu distrait, une phrase vient nous percuter et réveiller notre curiosité. En voici une qui m’a fait descendre « sur terre » :

Le monde qu’on nous avait décrit, cosmos muet et froid, violent et vide, régi par l’absurde ou la loi de la jungle, et éclairé par la lueur vacillante d’un sujet humain, civilisateur seul dans l’univers, ce monde qui n’est pas habitable, ce monde n’est qu’une construction de l’esprit.

Par ces mots, Baptiste Morizot nous invite à une autre construction dans laquelle nous ne sommes pas seuls mais entourés d’un vivant aux mille formes avec lequel nous avons à négocier des modus vivendi.

Nous sommes bien entourés par tous les autres, les vivants, les rivières, les bactéries, les végétaux, les animaux, les insectes, les océans, les friches et les forêts qui nous constituent. Pister (…) est un art de rentrer chez soi.

Baptiste Morizot est effet pisteur… et philosophe. Il piste les animaux, depuis la panthère et le grizzli jusqu’au lombric, pour les compter, les observer, comprendre comment négocier avec eux. Et comme ses carnets ne le quittent pas, il partage avec nous les mots qu’il met sur cette expérience et la façon dont elle le transforme, ouvrant en lui une possibilité de se reconnaître comme partie de ce vivant, animal lui-même, tantôt prédateur et tantôt proie.

Il interroge nos normes et en particulier notre conception du « civilisé » en opposition au « sauvage ». Un espace civilisé serait, pour l’occidental urbain, un espace dans lequel il peut évoluer en toute innocence, dans la mesure où cet espace a été débarrassé des présences inopportunes (et considérées comme inférieures) avec lesquelles il n’a pas su négocier (insectes, fauves, loups, bactéries…). Innocence est ici synonyme d’ignorance et insouciance.

La démarche de Baptiste Morizot vient nous interpeller de façon singulière dans nos fondements gestaltistes : awareness à soi et à l’environnement, indissociabilité organisme-environnement, vigilance au poids et à l’illusion des normes, ajustements créateurs recréant sans cesse le monde et notre place dans ce monde. Il nous propose une voie particulièrement pertinente en ces temps où la nature se rappelle à nous : renoncer à l’hégémonie qui nous isole de cette nature et accepter de redevenir des animaux humains.

Emmanuelle Gilloots

Thérapeute du couple, superviseure, formatrice, spécialiste des questions éthiques, déontologiques et juridiques liées au métier de gestalt-thérapeute, autrice de nombreux articles.

J’ai lu La bête en nous
de Jessica SERRA aux éditions humenSciences, 2021

Intrigué par ce titre et passionné par une interview radiophonique de son autrice, j’ai ressenti le désir de lire ce livre. Le thème est à la mode en ce moment, avec tous les reportages sur l’extinction des espèces ou la sortie du film « Animal ».

Selon notre culture judéo-chrétienne, l’Homme revendique une place unique et supérieure sur cette terre, comme s’il voulait nier ses racines animales. Darwin, en 1859, a pulvérisé ce système de pensée : nous sommes une branche dans l’évolution des espèces vivantes mais le déni de notre animalité reste ancré dans nos comportements. Comment accepter d’être relégué au statut de bête, alors que nous nous évertuons à nous en distinguer depuis des milliers d’années ?

Jessica SERRA, docteure en éthologie, montre que nous ne sommes pas les seuls à aimer, pleurer, rire, communiquer. Sans aucune connotation péjorative, nos émotions sont qualifiées de « bestiales » par l’autrice : tous les mammifères éprouvent la peur, la joie, la tristesse à travers les mêmes zones du cerveau limbique. D’où vient alors ce déni de notre animalité ? De quoi avons-nous peur ?

Nous apprenons par exemple que l’empathie est apparue il y a environ 200 millions d’années ; elle est liée au développement des soins parentaux, afin d’augmenter les chances de reproduction de l’espèce. L’être humain n’est pas le seul à percevoir des émotions chez les autres. De nombreuses expériences, avec des mammifères mais également des oiseaux, montrent leur capacité d’altruisme et d’instinct de protection sociale : un corbeau, par exemple, peut consoler son congénère victime d’une bagarre.

Chez l’Homme, cette capacité d’empathie diminue à mesure que l’espèce s’éloigne, d’un point de vue phylogénique : nous ressentons cette proximité pour nos animaux de compagnie, mais beaucoup moins pour les insectes ou les mollusques.

Dans un bel épilogue, Jessica Serra nous invite à nous « réconcilier avec notre animalité ». Le Sapiens accordait une place privilégiée aux animaux, comme le montre l’art rupestre. Un virage s’opère quand nos ancêtres s’identifient à leurs dieux : il n’est plus une pièce d’un grand puzzle, il est celui pour lequel ce puzzle a été créé ; pour tendre vers le divin, il cherche à s’extraire de son animalité qui le répugne. Exploitons-nous les animaux pour nous convaincre que nous n’en sommes pas ? Plutôt que considérer les animaux avec nos yeux, il nous faudrait apprendre à les regarder avec les leurs, ce qui nous ouvrirait les portes d’un univers nouveau…

Gonzague MASQUELIER

Psychologue, gestalt-thérapeute, coach. A dirigé l’Ecole Parisienne de Gestalt pendant 20 ans. Auteur de La Gestalt aujourd’hui (Retz), co-responsable du Grand Livre de la Gestalt (Eyrolles)

 

J’ai lu L’homme-chevreuil 
de Geoffroy Delorme, ed. Les Arènes, 2021

C’est l’histoire d’un petit garçon qui, en classe, se passionne davantage pour les oiseaux qu’il aperçoit par la fenêtre que pour ce que raconte le professeur ; il y a de la rébellion en lui... Il se retrouve scolarisé par correspondance, abandonné à lui-même, seul à la maison toute la journée.

Il observe la famille de merles sur l’arbre près de sa fenêtre, se charge de les nourrir, il guette les loirs, les écureuils ; il explore le jardin, puis la lisière de la forêt de Louviers, en Normandie.

Jusqu’au jour où il suit le renard qui a visité le jardin, et qui l’entraîne vers la forêt ; alors, il se retrouve presque nez à nez avec un chevreuil qui le regarde, et qu’il regarde. Il ressent une invitation de sa part, l’animal lui montre un chemin.

Il décide de s’installer dans la forêt pendant quelques années. Il garde un pied dans la maison et un pied dans la forêt, se nourrit de conserves récupérées dans la maison, puis un jour largue les amarres. Il vit complètement dans la forêt ; cela durera sept ans, hors du monde humain. Il expérimente comment se nourrir, comment se protéger du froid, il apprend, il observe.

Au centre du livre, le lecteur découvre pas à pas la relation qui s’est nouée avec les chevreuils et leurs familles. L’enfant, devenu grand, a appris à décoder leur langage corporel, il comprend leurs aboiements, il découvre le caractère des uns et des autres, il est réceptif, il est accepté, il est en interaction avec eux. Il acquiert de l’expérience face aux dangers, autant pour lui que pour la communauté animale.

Cet ouvrage raconte la vie sociale de Geoffroy et des chevreuils durant toutes ces années, les joies et les peines… Il ouvre des portes sur les ressources dont nous disposons, et pose la question de ce que nous faisons de cette part mammifère en nous.

Anne Granger

Gestalt-thérapeute et coach en retraite, j’explore la douceur et la lenteur avec mes animaux et mon jardin. Aujourd’hui peintre, en Loir et Cher.

Johnny Hallyday sur le divan
Extrait de l’ouvrage de Jeanne Boyaval

Johnny s’adresse à notre part animale, celle que l’on ne dévoile jamais de façon ostentatoire. Notre animalité a mauvaise réputation. On a coutume de qualifier les bonnes pensées de spirituelles et les mauvaises pensées d’animales, en oubliant trop vite que l’humanité est la rencontre des deux.

Il existe une séparation très forte entre un corps qui serait animal et une âme dont les facultés seraient le privilège de l’homme. Ainsi, il vaudrait mieux maîtriser notre côté bestial et n’afficher en société que notre côté qui nous différencie de l’animal. Johnny dans son animalité affichée nous autorise par procuration à laisser vivre notre nature profonde et s’adresse directement par son corps à cette animalité en nous. Il a été dit de Johnny : tout ce qui se passe dans sa vie est très sexuel. Sans doute, cette personne en parlant de sexualité voulait-elle exprimer l’instinct. Johnny, l’instinctif pur.

Mais voilà, Johnny est aussi un homme à la recherche d’un amour absolu, inconditionnel, enfantin, et ainsi il s’adresse aussi à notre part la plus pure, la plus innocente, la plus noble. Sa présence et sa relation à nous incarnent donc l’unification de deux polarités qui généralement nous divisent parce que nous avons tendance à les opposer. Son coach dira de lui : il est à la fois un enfant et un fauve.                                           

Ed. Envolume – Coll. Sur le divan – Octobre 2021 – p.70-71

Jeanne Boyaval

Gestalt-thérapeute formée à l’EPG et au CIG (Montréal). Exerce en cabinet libéral (individuel, groupe, supervision) dans la région lilloise.

J’ai vu : La sagesse de la pieuvre,
documentaire sud-africain de Pipa Ehrlich et James Reed (Netflix)

C’est un documentaire sur la relation quotidienne d’une pieuvre et de Craig Foster pendant un an. J’ai vu ce film il y a quelques mois et j’en garde un souvenir ému, avec le sentiment d’avoir rencontré un animal avec qui je me suis sentie reliée, j’ai eu le sentiment de percevoir ses intentions vis à vis de la personne en question.

C’est l’histoire d’un homme qui rentre chez lui, en Afrique du sud, pour se remettre d’un burn out ; il va se baigner dans la mer pour se détendre et rencontre une pieuvre qui semble lui vouloir du bien (le titre anglais est  Ma prof pieuvre).

Celle-ci montre qu’elle cherche le contact, elle lance une ventouse sur la main de l’homme. Une image m’a spécialement touchée : au bout de quelques semaines, ou peut-être quelques mois, la pieuvre se love contre notre homme au niveau du cœur... Entre ces deux moments, l’apprivoisement réciproque se noue grâce aux visites quotidiennes, dans les rencontres et les jeux...

Sachant qu’elle dispose de 2000 ventouses (doigts) pour entrer en contact physique, vous pouvez imaginer sa sensibilité ! On comprend rapidement qu’elle a envie de communiquer avec Craig, et qu’elle est très intelligente.

Elle se cache sous un monceau de cailloux et de coquillages, le camouflage est parfait. Lorsqu’un requin la chasse, elle s’accroche à son dos, il se secoue mais est incapable de s’en débarrasser ! Il y a de l’humour dans la situation !

Cette vidéo ouvre des perspectives impressionnantes sur tout ce que les humains ont loupé depuis des millénaires en se positionnant en surplomb des animaux sauvages ou familiers, comme si ce n’étaient « que » des bêtes, comportement qui nous a coupé de notre sensibilité et de nos ressources mammifères.

Cela nous interroge : nous humains, qu’avons-nous fait de la douceur, de la lenteur ?

Anne Granger            

Gestalt-thérapeute et coach en retraite, j’explore la douceur et la lenteur avec mes animaux et mon jardin. Aujourd’hui peintre, en Loir et Cher

 

 

      

 

                                              

J’ai vu : L’âme primitive,
exposition au musée Zadkine jusqu’au 21 février, Paris 6e

À quelques pas de chez moi, au cœur d’un Paris asphalté, bétonné, minéralisé, s’ouvre une grotte de verdure ; cet espace insolite, sauvage et végétal est le musée Zadkine. Dans cette caverne protégée surgissent des formes sculptées telles des créatures préhistoriques, dont certaines gigantesques. Des sortes de troncs d’arbres, tels des totems dressant leurs bras vers le ciel, évoquent une atmosphère de forêt vierge qui pousse au recueillement. Folâtrer dans les allées, pénétrer dans l’atelier, déambuler parmi les œuvres présentées offre une pause intense loin du tumulte citadin.

Cette fois-ci, « L’âme primitive » nous plonge dans la quête des artistes « primitivistes » qui se démarque d’un héritage classique et académique. Une ribambelle de créateurs ose s’affranchir des habitudes conventionnelles et chercher une authenticité originelle nous invitant à ressentir nos fibres animales. Quel plaisir de parcourir avec eux ce chemin inusité et de s’étonner parfois de tant d’impudeur. Au risque de choquer quelques âmes pudibondes, la nudité des corps exposés nous entraîne : « Le corps, à la place de l’œil seul, devient l’instrument par lequel l’artiste peut percevoir le monde ». L’affichage des commentaires sensibles accompagne notre marche, promouvant la force expressive et archaïque des arts, comme un souffle vital qui impulse le pas à pas. Une allusion au mouvement des « fauves » qui cherche à exprimer « la palpitation de la vie humaine bouleversée par le tragique » renforce mon sentiment d’appartenance à l’espèce. Au fil de cette paisible balade, je ne peux réprimer ma féroce vitalité ; je sursaute parfois, époustouflée par la prégnance corporelle d’une incarnation terrestre ; d’autres fois, je m’élance dans l’espace attirée par la légère verticalité d’un envol.

Un coup d’œil sur mes congénères, la réflexion humoristique d’un visiteur, l’apostrophe curieuse d’un gardien, me rappellent que je ne suis pas seule à goûter et apprécier les sensations de la baguenaude au sein de cet univers enchevêtré. Rien de plus sacré que de se sentir une bête humaine parmi les autres…

Chantal Masquelier-Savatier

Psychologue clinicienne, gestalt-thérapeute, superviseure, formatrice et autrice. Exerce à Paris.

J’ai vu Animal,
réalisé par Cyril Dion, sorti sur les écrans le 1er décembre 2021

Le précédent film de Cyril Dion, Demain, sorti en 2015, a fait plus d’un million d’entrées.  Je ne suis pas allée le voir, tout en me disant « je devrais ». Décider d’aller voir Animal m’a permis de mettre en conscience ce que je redoutais de rencontrer : les « bons sentiments », le « politiquement correct écolo » ou, lorsque j’entendais la promotion de ce nouveau film, « un film indispensable » disait-on, du prêt-à-penser qui offrirait une vision optimiste qui calme sans ouvrir un débat. Je peux dire d’emblée que cela n’a pas été le cas.

Face aux menaces qui pèsent sur l’équilibre planétaire, le point de vue du réalisateur consiste à éviter de faire peur et de présenter une vision catastrophique comme le font les collapsologues qui prédisent l’effondrement. Pour lui, il faut plutôt rassurer les personnes pour qu’elles acceptent de se laisser alerter, sinon les mauvaises nouvelles provoquent de l’évitement ou du déni, ce qui explique que nous n’ayons tenu compte que trop tardivement des alarmes sur ce que nous faisions subir à la planète terre. Quand on active la peur, on bloque l’intelligence, nous dit-il. J’adhère à ce point de vue d’autant plus que c’est celui que j’adopte dans mon travail avec les traumatismes : il est nécessaire d’apporter suffisamment de ressources et de sécurité pour que la personne puisse supporter l’abord du traumatisme et ainsi retraiter les informations qui y sont liées pour retrouver du sens. Mais par ailleurs la confrontation est souvent ce qui mobilise le changement. Là aussi il s’agit de retrouver la clarté et la capacité à s’orienter.

J’ai donc abordé ce film dans le cadre de mon intérêt pour les pathologies que nous rencontrons déjà face aux changements climatiques et aux ruptures d’équilibre de la vie sur terre. On appelle éco-anxiété ou solastalgie la souffrance engendrée par les désastres environnementaux actuels et à venir. A l’inverse, ces thèmes peuvent provoquer (de moins en moins cependant) de l’ironie, de l’hostilité, et un choix plus ou moins délibéré de s’écarter de ce genre de préoccupation, en déclenchant des mécanismes de dissociation pour éviter cette réalité, peu compatible avec l’accroissement du PIB. À l’échelle de notre cabinet nous allons avoir à reconnaître les signes avant-coureurs des traumatismes environnementaux, que l’on peut appeler pré-traumatismes, et à propos desquels Bruno Latour nous dit : « Il faut équiper nos enfants de moyens thérapeutiques pour éviter le désespoir dans les vingt ans à venir » (ensuite, il pense que nous aurons remanié complètement notre rapport au vivant)[1].

Dans le documentaire Animal, Cyril Dion met en scène deux adolescents, militants écologistes, qu’il emmène sur des lieux où ils tentent de mieux comprendre les questions environnementales et le rapport à la biodiversité. Le film démarre sur les images dévastatrices des conséquences de la pollution sur la nature et les animaux. De quoi nous dégoûter définitivement d’acheter des bouteilles d’eau ou des produits conditionnés dans des barquettes plastique. Accès de solastalgie mais aussi virage dans mon comportement de consommatrice.

La suite me paraît moins efficace et mérite d’être approfondie. Mais le livre Animal est là si nous souhaitons aller plus loin, on y retrouve les dialogues avec les différentes personnalités rencontrées aux quatre coins du monde, de même que certains entretiens qui n’apparaissent pas dans le film, et il nous donne accès à des notes et documents complémentaires.

 J’ai apprécié que les séquences du film nous laissent assez de latitude pour ouvrir des pistes de réflexion et continuer à penser par nous-même. Le réalisateur ne donne pas de leçon et ne cherche pas à nous culpabiliser de manger de la viande ou de prendre l’avion. Les questions des adolescents (ils ont 16 ans) sont souvent candides mais dérangeantes. Cependant, s’il m’est apparu de prime abord que le film pouvait contribuer à sensibiliser un large public, il n’apporte pas de grande nouveauté à ceux qui s’intéressent déjà à ces questions.  Les adolescents, comme nous d’ailleurs, se demandent si des solutions existent. Espérons que ce film nous permette d’entrevoir qu’il en existe, et surtout d'être suffisamment dérangés pour les envisager à notre niveau. Si nous nous laissons secouer, comme Cyril Dion lui-même, qui a dû recommencer une thérapie à la suite du tournage, peut-être trouverons-nous l’élan de vie nécessaire à la survie de notre espèce et les conditions d’alliance avec nos pairs humains et non humains.

L’écologie est la science des relations des organismes avec le monde environnant. La Gestalt-thérapie est l’étude de l’expérience à la frontière contact organisme-environnement. Des cousins en quelque sorte. Pouvons-nous imaginer avoir quelque chose à apporter à l’écologie ?

 

Sylvie Schoch de Neuforn


[1] Conférence du 19 novembre 2021 à la Maison de la Radio dans le cadre du festival Et Maintenant ? Sera diffusée sur la chaîne Arte (message à Lilo)

Bibliographie

DÜRKHEIM Karlfried Graf

  • Hara - Centre vital de l'homme, Le Courrier du Livre 1954

DE FONTENAY Elisabeth : 

  • Le silence des animaux, la philosophie à l’épreuve de l’animalité, Fayard 1998
  • L’identité humaine, Robert Laffont, 2021

DE LA BIGNE Yolaine et coll. :

  • L'animal est-il l'avenir de l'homme ? Larousse, 2017
  • Les secrets de l’intelligence animale, Larousse, 2018

DELORME Geoffroy :

  • L’homme-chevreuil, sept ans de vie sauvage, éd. Les Arènes, 2001

DERRIDA Jacques :

  • L’animal que donc je suis, Galilée, 2006
  • DERRIDA Jacques : ROUDINESCO Elisabeth De quoi demain… (Chapitre 5), Flammarion, 2001

DESCOLA Philippe :

  • Par-delà nature et culture, Folio, 2015.

DESPRET Vinciane :

  • Autobiographie d'un poulpe. Et autres récits d'anticipation, Actes Sud, 2021

DION Cyril :

  • Animal, chaque génération a son combat, Actes Sud, 2021

HARAWAY Donna :

  • Quand les espèces se rencontrent, Les empêcheurs de penser en rond, La Découverte, 2021

JOUVENTIN Pierre (2009) :

  • L’homme, cet animal raté, éd. Libres et solidaires, 2° éd., 2020

MORIZOT Baptiste :

  • Sur la piste animale, Actes Sud, 2017
  • Manières d’être vivant, Actes Sud, 2020

PASTOUREAU Michel :

  • Le corbeau, une histoire culturelle, Seuil, 2021

SAFRAN FOER Jonathan :

  • Faut-il manger les animaux ? Trad. Française, L’Olivier, 2011

STEPANOFF Charles :

  • L'animal et la mort, La Découverte, 2021

SERRA Jessica :

  • La bête en nous, HumenSciences/Humensis, 2021

VINCENT Bernard :

  • Présent au monde, Paul Goodman, L’exprimerie, Bordeaux, 2003

 

Notre fédération a choisi de fonctionner selon les principes de la gouvernance partagée (GP).
Cette chronique est un lieu pour déplier le sens que cela prend dans notre communauté gestaltiste.

Le lien comme fondement

Lors d'un cercle de coordination, nous avons profité d’un temps de « palabre », temps d’expression libre autour d’un thème spécifique. Celui-ci fut notre vécu du cadre que propose la gouvernance partagée.

Les expressions ont beaucoup tourné autour de la place de chacun.e et de sa liberté à ressentir, à penser, à se tromper, à apparaître sereinement en tant qu’humain.e.

Pouvoir être entendu, avoir le temps de déplier son ressenti, sa pensée d’abord confuse, puis évolutive. Laisser cette pensée prendre forme lentement avec un soin offert pour la cristalliser dans quelque chose d’imparfait mais suffisamment abouti et fidèle. Nous permettre de décider ensemble sur cette base émergente. Voilà qui semblait précieux.
Avoir la possibilité de donner vie à ce qui nous anime aide à se plier à ce cadre contraignant, qui peut faire violence, qui permet la parole à certains moments mais la coupe à d’autres. Parce que je sais que je pourrai exprimer ce qui compte vraiment pour moi, je peux m’installer sereinement dans mes ressentis, mes pensées, mes perceptions du groupe, puis activer une fonction ego pour choisir que dire et que laisser cheminer en moi. Ainsi je peux faire de la place à l’écoute, au lien, en étant disponible pour la parole de l’autre.

Les temps corporels semblent également aidants. Nous nous sommes habitués à démarrer la journée et l’après-midi avec les corps.
Un temps de perception matinal de notre rapport à notre propre corps, à celui des autres, à celui du cercle et de toute la fédération. En début d’après-midi, un temps de perception du processus créatif. Là encore il s’agit de connexion, de rencontre et de lien.

Le temps de palabre que nous nous offrons systématiquement participe également de ce lien, de cette autorisation à exister dans nos différences et à nous rencontrer dans ce qui nous rapproche. Sans doute ce temps participe-t-il, séance après séance, à créer une conscience commune de ce que nous faisons ici. Les frustrations, les douleurs et les difficultés sont notre lot comme tout collectif, mais une culture complexe et douce émerge de ces moments de rencontre dans lesquels il est « chaudoudou » d’agir ensemble.

Ainsi, c’est la rencontre qui apparaît comme un élément fondamental liant notre pratique de gestalthérapeutes et notre fonctionnement collectif.
Notre thérapie comme notre gouvernance se basent sur la relation et accompagnent ce qui émerge. 

Rose JeanLuc Christin

Rôle facilitation et pédagogie de la gouvernance partagée dans le cercle de coordination, gestalthérapeute à Chambéry, coach et auteure d’une démarche de création de gouvernance partagée en open source  (disponible sur https://gouvernancecellulaire.org).


Nous attendons vos écrits pour notre n°2 avant fin février 2022. À vos plumes !

À Dire est une publication de la Fédération des Professionnels de la Gestalt-Thérapie

Responsable de la rédaction : Pôle Écriture

Emmanuelle Gilloots

Chantal-Masquelier-Savatier

Sylvie Schoch de Neuforn

Maquette et mise en page : Antoine Seevagen

Adresse de contact : adire@fpgt.fr

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