Chronique
Gouvernance partagée et Gestalt, une même finalité subversive.
J’ai participé au Cercle d’Orientation de mai, et j’ai entendu pas mal de plaintes autour de la gouvernance partagée, qui empêche de nommer les choses, d’agir librement, qui contraint.
J’avais envie d’ouvrir la conversation car ces constats sont à l’opposé des intentions pour lesquelles la gouvernance partagée m’attire. Nous n’avions pas l’espace pour cela, sauf pendant les repas.
Voici quelques réflexions, qui ne visent pas la vérité mais à déposer, au côté de ces frustrations, un point de vue qui croit que la quête est la même.
Subversivité
En discutant est apparu le thème de la subversivité. La Gestalt est-elle subversive ? Et la gouvernance partagée ? Pour moi la réponse est rapide (un peu trop diraient certain·es gestaltistes ?).
La Gestalt est subversive au moins en cela qu’elle invite les personnes à penser par elles-mêmes , à ressentir, à vibrer, à raisonner à leur manière. La pensée, ce processus silencieux de soi à soi comme en parlait Hannah Arendt. Evidemment que vis-à-vis d’une instance dominante, qui souhaite contrôler les gens, développer une capacité à vibrer et penser par soi-même est subversif. J’avoue, j’aime et j’ai confiance dans cette puissance multiple des humains quand chacun pense par lui-même, et remet en question ses déductions à l’occasion des rencontres avec autrui, ces êtres étranges qui ne pensent pas la même chose que lui/elle.
La gouvernance partagée est subversive car elle cherche à créer la possibilité pour chacun·e d’imaginer par soi-même comment réaliser sa tâche avec enthousiasme, en apportant au collectif sa patte, quelque chose de précieux, d’incarné, de vivant, qu’iel aura rêvé et mis en œuvre. « Enlevez les rêves, vous assommez l'ouvrier » écrit Bachelard. « Négligez les puissances oniriques du travail, vous diminuez, vous anéantissez le travailleur » (Entendre œuvrier, celui qui fait œuvre). Chaque fois que vous êtes bloqués pour apporter ce qui vous semble le mieux, questionnez-vous : la gouvernance partagée cherche à m’apporter cette liberté, comment a-t-elle pensé les choses pour cela ?
Le ça et l’organisation du travail
Un des points de friction me semble être l’expression du ça, qui pousse. Je crois que la Gestalt nous apprends à ressentir, donner du sens, déplier, sans savoir ce qui va émerger, faire figure. Nous sommes habitué·es à prêter attention à ce qui est en nous, à le conscientiser, à donner du temps, en présence, à ce qui est là.
Or, dans l’organisation du travail, nous avons quelque chose à produire. Des décisions à prendre, une mise en page à finir, un colloque à animer, de nouveaux adhérents à accueillir, des statuts à réviser, etc. Nous ne pouvons pas passer d’un dépli à un autre, contrairement à des groupes de thérapie. Où fixer la limite ?
La gouvernance partagée que nous pratiquons a choisi d’ouvrir tous les sujets. L’expression du « ça qui pousse » a toute sa place depuis que nous avons institué les « tensions personnelles (1) ». Toutefois, compte tenu du besoin de produire un travail, cette gouvernance partagée a choisi de n’ouvrir qu’un sujet à la fois. Chacun·e est invité·e et contraint·e à suspendre son ça qui pousse et demander un temps pour en parler à un autre moment, en nommant une « tension ».
Ouverture
La gouvernance partagée que nous suivons ne prétend pas avoir la bonne méthode. Ce n’est pas un modèle à reproduire, c’est une démarche expérimentale, dans laquelle les ajustements créateurs ont toute leur place. Aussi un questionnement se présente-t-il à la conclusion de cette chronique.
Ne serions-nous pas devant un choix ? Pourrions-nous envisager de faire un peu plus de place au « ça qui pousse », par exemple en donnant à chacun·e le droit de suspendre le processus le temps de nommer ce qui est présent en lui ? J’imagine qu’il faudra instaurer une autre limite que l’interdiction pure et simple actuelle, pour ne pas partir en groupe de thérapie non-productif, mais peut-être notre créativité nous soufflera-t-elle quelque chose qui nous corresponde mieux ?
Rose Jean-Luc Christin
Rose jl Christin a été formée à la Gestalt par Grefor après des années d'accompagnements via d'autres approches. Pratiquante bouddhiste, elle est animée par une quête d'harmonie qui prend forme dans ses actions de "comment bien s'entendre", entre humains, avec le monde, avec soi-même. Elle est spécialiste de gouvernances partagées.
(1) Une tension de rôle est un élan pour mieux réaliser son rôle. Si on change les personnes qui énergétisent le rôle, la tension est toujours là. (Par exemple, le rôle finance a besoin des notes de frais, quelle que soit la personne affectée à ce rôle).
Une tension de personne est un élan pour mieux vivre en prenant soin de soi, de ses relation, de ses valeurs profondes. Elle peut aboutir par exemple à une demande de régulation relationnelle, à la simple expression d’un inconfort, ou à une demande de temps de palabre sur un sujet de fond.
Voir aussi le document ci-dessous "Distinction personne role.pdf".
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