J'ai écouté... « Ou peut-être une nuit »

Une série du podcast Injustices de Louie Média, réalisé par Anna Buy (1)

Dans ce podcast Charlotte Pudlowski (2) décortique la fabrique du silence autour de l'inceste. Elle a 26 ans quand elle apprend que sa mère, enfant, a subi un inceste par son père. Elle est journaliste. Elle s'interroge, pourquoi un si long silence ? Elle mène l'enquête, questionne des experts, rencontre des victimes, explore les mécanismes du trauma. Ce Podcast diffusé à l'automne 2020 est une trace qui donne à entendre l'impensable, participe à sortir l'inceste de la banalisation. Si je vous en parle aujourd'hui chers collègues c'est parce que je souhaite oeuvrer à mon échelle à sortir les violences sexuelles et l'inceste de l'ombre. J'ai été marquée par les mots de Dorothée Dussy, auteur du livre « Le Berceau des dominations – Anthropologie de l'inceste ». Elle souligne que le sujet de l'inceste est un éternel recommencement. Depuis longtemps on dispose de chiffres, des enquêtes ont régulièrement été menées sur les violences sexuelles et publiées dans les médias. Et puis... Et puis rien. Et quand de nouveaux chiffres sont publiées, qu'une nouvelle enquête sort, on s'étonne. L'inceste n'est pas un fait divers, on sait que 2 à 3 enfants d'une classe de 30 éléves scolarisés en CM2 sont touchés. On connaît aussi la gravité des conséquences, comme le rappelle Muriel Salmona, psychiatre, fondatrice en 2009 de l'association Mémoire traumatique et victimologie (3). Alors la question revient, pourquoi tant de silence(s)? Des silences qui semblent s'emboiter les uns avec les autres, comme des poupées russes.

Autour de l'inceste et des violences sexuelles il y a, comme le souligne Charlotte Puldlowski, un désir d'oubli. Un désir d'oubli des victimes elles-mêmes, des personnes qui ont été informées, des auteurs aussi. L'oubli pour se protéger de sentir l'insupportable, l'oubli qui ici fait enfermement. L'autrice du podcast évoque sa propre traversée dans cette enquête, son besoin a un moment d'arrêter, d'arrêter de lire, d'écouter ses enregistrements, son désir d'oublier.

En tant que thérapeute et à partir de mon propre vécu, je sais l'empreinte dans le corps, combien l'abus sexuel enfant dévie la construction du rapport à l'autre, car c'est la vie en soi qui a été attaquée. J'ai saisi combien il est difficile de nommer aussi, combien il est difficile d'aller se rejoindre à cet endroit indicible, honteux. Et pourtant, de mon propre chemin, comme de celui fait au cours de ma formation de gestalt-thérapeute, je sais aussi que c'est essentiel, pour permettre de restaurer quelque chose de la vie en soi. Ce podcast m'apparaît comme une porte parmi d'autres pour oser regarder, pour comprendre le silence lui-même, son essence, structurelle, systémique, et s'ouvrir à écouter ce qui ne se dit pas. Car ils sont nombreux ces hommes, ces femmes, ces enfants parfois, à pousser la porte de nos cabinets, porteurs d'un lourd secret. Alors comment on les accueille, comment on les entend ? Comment on accompagne à panser l'impensable (4) ?

Etre éveillé-e à cet endroit me paraît indispensable à notre place de thérapeute car ce thème de l'abus, de l'inceste n'est pas confidentiel. Ce partage est un témoignage et un appel cher-es collègues, un appel à s'informer, à se former, à mettre en dialogue nos questions, nos doutes, nos peurs, nos dégoûts, nos silences.

Merci de votre attention

Aude Looten

(1) https://louiemedia.com/injustices-2/ou-peut-etre-une-nuit
(2) Elle publie en 2021 Ou peut être une nuit – Inceste la guerre du silence, sorti en poche en 2023
(3) https://www.memoiretraumatique.org/
(4) Fernande Amblard, Panser l'impensable, vivre pleinement sa vie d'adulte malgré un abus dans l'enfance

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