J’ai vu "Les émotions contre la démocratie"
Conférence d’Eva Illouz
Eva Illouz est sociologue et travaille sur ce qu’elle appelle la marchandisation des émotions. Dans cette conférence présentée au festival Et maintenant organisé par Arte et France-Culture elle présente la thèse de son dernier livre « Les émotions contre la démocratie », tout en rappelant ses positions par rapport aux injonctions de résilience et de bonheur qu’elle relève dans notre société contemporaine. Cela fait référence à un de ses précédents livres, co-écrit avec Edgar Cabanas : Happycratie - Comment l'industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies.
D’une part elle voit l’injonction de résilience comme un ensemble de techniques qui sont utilisées par les politiques d’état nous enjoignant de nous adapter en développant nos propres ressources. Cette sur-responsabilisation de l’individu nous fait croire que c’est nous qui n’allons pas bien quand c’est la société qui fonctionne mal.
Par ailleurs, dans Happycratie, Eva Illouz dénonce l’industrie du bonheur qui multiplie les méthodes censées nous rendre heureux en détournant notre attention des dérives d’une société néocapitaliste : « le bonheur est présenté comme un objectif impérieux, qui produit de nouvelles variétés de chercheurs de bonheur et d’happycondriaques, anxieusement focalisés sur leur moi et continuellement soucieux de corriger leurs défaillances psychologiques, de se transformer ou de s’améliorer. » Nous devenons esclaves d’une quête incessante : nous débarrasser de ce qui nous perturbe émotionnellement, de toute insatisfaction ou malaise, et j’ajouterai aussi vite que possible. Nous nous rendons ainsi complices d’une logique consumériste qui fait prospérer les diverses offres du marché du développement personnel et de la thérapie, mais aussi du bien-être, du tourisme ou du sexe.
L’articulation entre le politique et l’individuel se concrétise quand la démocratie cède le pas au populisme. Celui-ci joue sur des émotions qui sont déjà là et qu’il amplifie pour asseoir son influence. Pour ce faire, les dirigeants utilisent les émotions que sont principalement la peur, le dégoût, le ressentiment :
• Aiguiser la peur leur permet d’offrir un discours protecteur et de se présenter comme le rempart contre le danger.
• Susciter le dégoût est l’émotion sur laquelle soufflent les régimes racistes. C’est la peur de la contamination d’un groupe dont on va chercher à se protéger en fermant ses frontières ou en excluant.
• Le ressentiment est ambivalent : protester contre l’inégalité est une aspiration démocratique, mais ici s’y greffe de l’envie et un désir de vengeance.
Comment pouvons-nous approprier cette analyse au-delà de ses aspects provocateurs ?
Nous reconnaissons dans ce que décrit Eva Illouz une position égotiste qui nous coupe de l’environnement, barrant ainsi l’accès à un bonheur qui serait celui de la création ou de la rencontre avec l’inconnu, et le fait de se sentir en lien.
Notre approche, telle que je la conçois, propose un cheminement à deux dont on ne sait pas où il nous mènera, mais qui apporte plus de conscience, de sensibilité et de liberté. Cela correspond aux critères esthétiques de la Gestalt-thérapie qui viserait, selon Isadore From, un des formateurs de la première heure, à aider les clients à transformer leur parole en poésie, et leur marche en danse. J’ajouterais à (re)-trouver la joie.
Nous sommes ici loin de la description de la sociologue qui met en lumière un fait de société. Elle dénonce une dérive qui pourrait cependant nous rendre vigilant : pourrions-nous devenir complice de cette quête impossible d’un bonheur factice, dans l’adhésion à une norme qui pousse à cette recherche, engendrant la honte de ne pas correspondre. Et savons-nous toujours nous écarter d’une attitude qui, en réponse à une demande de gestion des émotions ou de réduction de l’anxiété qui fait obstacle au bonheur, proposerait des stratégies, des recherches de solution, des moyens et des techniques pour parvenir à cette fin.
Lien de l’entretien vidéo (27 minutes) : https://www.youtube.com/watch?v=hWo92iw2Q-Q&t=222s
Ouvrages cités :
Illouz Eva, Happycratie, éditions Premier parallèle, 2018
Illouz Eva, Les Émotions contre la démocratie, éditions Premier parallèle, 2022
À Dire n° 3 - Automne 2022 - Sommaire
Édito : Emmanuelle GillootsLes Articles1 - Interview de Peter Schulthess, Peter Schulthess,...
Entretien avec Francis Vanoye - Juillet 2022
À Dire : La période que nous traversons est marquée par différentes menaces - évolution...
J’ai lu "Devenir autre - Hétérogénéité et plasticité du soi"
de David Berliner, édition La découverteDavid Berliner est anthropologue et enseignant à...
J’ai vu : L’inceste, le dire et l’entendre,
Documentaire de Andréa Rawlins-Gaston.Visible sur le replay de France TV jusqu’au 2 février...
Rebond au n°2 de À Dire
J’ai lu avec appétit ce deuxième numéro d’À Dire. Belle thématique que celle de l’environnement,...
Faut-il s’adapter ?
L’homme n’est pas seulement un être qui s’adapte, mais un être qui s’inventeGodelier 2007 (1)Au...