Le patient difficile existe-t-il ?
J’avais gardé dans mes notes ce témoignage donné par un psychiatre américain (1) lors d’une conférence. En le relisant, cela me paraît intéressant de m’interroger sur le message qu’il contient.
C’est le récit d’une séance qui, dans la première partie, est un classique : le client détourne ou refuse tout ce que nous essayons d’apporter et nous met dans l’impuissance, puis il nous attaque. Nous avons appris plus ou moins à rester en selle dans ces moments-là.
Ici, le thérapeute est désespéré, il ne peut plus compter sur ce qui pourrait lui faire croire à sa compétence, son expertise. Il est démuni, nu en quelque sorte. Cet état de perte l’amène à une reconfiguration de son espace mental et de son rapport à l’autre : et si cet autre que je suis censé aider était celui qui peut aussi me mettre en situation de découvrir quelque chose de nouveau ?
Le thérapeute va se restabiliser en découvrant un autre positionnement : au lieu de faire pour sa patiente, et agissant sur elle au travers de ses propositions, il ramène son attention sur ce qui est en train de se passer dans ce champ. Il arrête de vouloir se met ainsi en état de réceptivité : « qu’apprendre de cette expérience ? ». Cela évoque la notion taoïste de wu wei : « elle désigne ou plutôt suggère une attitude de réceptivité et de disponibilité extrême aux évènements et aux situations dans lesquels nous nous trouvons inclus et impliqués sans en avoir la maîtrise. C'est une notion empirique qui s’expérimente dans un processus de dessaisissement et de non-affirmation de soi (1) ».
Peut-être nombre d’entre nous ont-ils vécu ces moments de crise où, les repères vacillant, ils se sont trouvé dans une nécessité radicale de s’ouvrir à une autre réalité et de trouver leurs assises de thérapeute sur un terrain qu’ils n’avaient pas imaginé auparavant, amorçant ainsi une transformation durable.
Témoignage
C'était en 2005…
J'étais assis avec ma patiente la plus difficile – une patiente que tous les thérapeutes appelleraient « borderline ».
C’était l’une de « ces » séances.
Tout ce que je proposais était rejeté.
Quand j'ai essayé de suivre son expérience, elle m'a arrêté.
À un moment donné, elle a dit : « Vous êtes le pire thérapeute avec lequel j’ai jamais travaillé. »
J’ai reçu ça comme une flèche dans le cœur.
À ce moment-là, je me suis senti désespéré et rejeté.
Puis j'ai entendu quelque chose. Pas une voix littérale dans ma tête, mais une suggestion qui est apparue quelque part en dehors de moi.
Ça disait : « Reste stable. Elle est là pour t’apprendre autant que tu es là pour l’aider.
Cela a instantanément changé quelque chose en moi.
J'ai pris quelques respirations. J'ai regardé ma patiente avec compassion. Et je me suis demandé : « Que puis-je apprendre de cette expérience ? »
Ce message a changé ma relation avec elle et a changé ma façon de pratiquer.
Ce témoignage illustre les changements qui ponctuent notre parcours de thérapeute et que l’on peut désigner par le terme de métanoïa : un changement radical de point de vue ou de regard où la pensée et l'action se transforment de façon importante, voire décisive. Ainsi le thérapeute va ici, de manière soudaine et sous l’effet du désarroi, cesser de vouloir changer son patient en fonction de ses a priori et représentations et opérer un changement de regard où il entrevoit une transformation possible de sa propre attitude.
En conclusion, le patient difficile n’existerait pas, il n’existerait que l’incapacité du thérapeute à se réformer.
Sylvie Schoch de Neuforn
(1) Frank Anderson. Psychiatre, conférencier et formateur en traumatologie et en neurosciences
(2) Définition proposée par l’anthropologue François Laplantine
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