J’ai lu la conclusion de "Regards croisés sur la psychothérapie"
D’Edmond Marc et Chantal Masquelier-Savatier
Dans un numéro qui explore la visée de la thérapie et ses processus, il nous a semblé intéressant de vous retransmettre – avec l’aimable autorisation des auteurs et de l’éditeur – quelques extraits de la conclusion du livre Regards croisés sur la psychothérapie. Les auteurs y développent une réflexion à propos des objectifs possibles de la thérapie à partir de trois types d’attentes d’où découlent trois visées différentes, avec chacune leurs intérêts et leurs écueils. Ils nous convoquent à clarifier – pour nous-mêmes et pour nos patients – la position qui est la nôtre, en conscience du choix que nous avons à assumer pour sortir de la toute-puissance sans prétendre répondre à tout type d’attente et en restant vigilant aux écueils possibles de l’orientation que nous avons choisie.
Le texte reprend ensuite les valeurs et principes éthiques qui guident les auteurs, en une profession de foi nourrie de longues années de pratique et qui transcende les clivages entre les différentes méthodes et courants de la psychothérapie.
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Les demandes revêtent plusieurs formes qui se combinent :
- Une attente résolutive (tournée vers le passé), celle de guérir en éludant la souffrance. Celle-ci laisse espérer un retour à un état antérieur avec une sorte de nostalgie entretenant la croyance d’un merveilleux état originel exempt de tout malheur.
- Une attente sociale (tournée vers l’avenir), celle de s’épanouir et d’accéder au bien-être. Celle-ci permet de se projeter dans un avenir meilleur éludant le mal-être.- Une attente existentielle (centrée sur le présent), celle de trouver un sens à sa vie. Celle-ci amène à prendre en compte l’expérience douloureuse pour la vivre en conscience, ce qui fait relativiser la quête du bonheur.
En réponse à ces types d’attente, trois tendances se dégagent et interfèrent.
- Une orientation médicale qui vise la guérison et la réparation, en supprimant le symptôme. Dans ce modèle, la posture du praticien est celle de l’expert qui sait pour l’autre. L’écueil serait de coller à la demande explicite du patient. L’objectif de la thérapie vise l’efficacité et le résultat. La responsabilité de l’échec incombe à l’incompétence du thérapeute.
- Une orientation sociale qui promet le bonheur en positivant le contexte et en optimisant le potentiel de chacun. Dans ce modèle la posture du thérapeute est celle du sage qui a trouvé la solution ou du joyeux compagnon qui banalise les difficultés. (...) L’écueil serait d’entretenir le mythe du bien-être total dans le déni de la souffrance. L’objectif de la thérapie vise alors la réussite et l’épanouissement personnels. La responsabilité de l’échec revient au patient dans un sentiment d’insuffisance (2). Ne réussissant pas à se conformer à l’idéal attendu, il risque de sombrer dans la culpabilité et la honte.
- Une orientation existentielle qui vise la quête de sens et la croissance d’un être en devenir. Dans cette perspective, le thérapeute accueille le mal-être comme une occasion de remise en cause et voit la crise comme un facteur de changement. L’écueil pourrait être une forme de résignation au malheur et une complaisance dans la souffrance, pouvant engendrer une dépendance au thérapeute devenu indispensable. L’objectif de la thérapie serait une acceptation de la vie telle qu’elle advient et une intégration dans la communauté humaine débouchant sur l’altérité et la solidarité. La responsabilité de l’échec ou de la réussite de l’aventure incombe aux deux partenaires qui cheminent ensemble.
Les deux premières orientations présentent le risque d’une tendance normative alors que la troisième ouvre à la singularité et à l’imprévisibilité. Cette ouverture semble en cohérence avec l’éthique et la déontologie des psychothérapies humanistes relationnelles auxquelles peuvent se rattacher la Gestalt-thérapie comme les thérapies analytiques.
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S’interroger ensemble sur la visée de la thérapie s’impose pour ne pas dévoyer notre profession en se laissant récupérer à des fins mercantiles, en cédant à la fascination de la toute puissance ou à l’inverse en s’assujettissant à un système autocratique. Un accord se dégage sur la liberté de chacun à choisir son destin ; ce qui suppose la prise de conscience de ce qui nous détermine et nous enferme (que ce soient les données historiques ou environnementales). Cependant différentes conceptions de la santé animent le thérapeute tantôt plus enclin à poursuivre un objectif déterminé, par exemple réparer ou guérir, tantôt plus ouvert aux mystères de la rencontre et du devenir. Cette dernière option requiert une posture d’humilité de la part du thérapeute qui quitte sa place d’expert supposé savoir pour "être avec" ce qui se passe (6). Se laisser toucher et émouvoir par le patient nous plonge parfois dans un sentiment d’impuissance qui tient aux limites de notre humanité. Être jeté au monde, sans l’avoir demandé, impose de chercher du sens à l’existence. Comme le rappelle Elisabeth Roudinesco dans une interview récente : « On ne guérit jamais de la condition humaine ».
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La psychothérapie, qu’elle soit analytique ou gestaltiste, tend à développer chez le patient l’ouverture à autrui, la tolérance, le sens de l’échange, la créativité, la liberté de penser… Notre difficulté à mettre en application ces valeurs est manifeste dans les querelles de chapelles et dans la succession des exclusions et des scissions, tout autant dans les écoles de psychanalyse que dans les associations gestaltistes. Nous en avons fait nous-mêmes l’expérience dans l’élaboration de cette œuvre commune, non dénuée de quelques frottements et de saine confrontation, mais débouchant sur une fructueuse mise en perspective. Conclure ensemble est symbolique ; respectant nos propres différences, nous osons imaginer que cet ouvrage contribue à susciter des échanges plus fréquents et plus ouverts entre thérapeutes de différentes écoles.
Pour l’équipe À Dire, Emmanuelle Gilloots
À Dire n° 7 - Printemps 2024 - Sommaire
Pour quoi la thérapie ?Édito : Chantal Masquelier-SavatierArticles :1 - Déconstruire ? -...
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