Édito
Quelques bruissements dans l’air, quelques grésillements dans notre environnement, quelques frémissements dans nos réseaux, et puis des chuchotements dans nos assemblées auxquels viennent s’ajouter quelques traces dessinées ou écrites ainsi que le fredonnement de quelques mélodies… Tant de signes qui font émerger tout doucement la question de « Pour quoi la thérapie ? »
Mais la formulation de cette question n’est pas venue tout de suite. Nous avons tâtonné quelques temps. Notre récolte préalable comprenait quelques ébauches sur la nécessité de ralentir, de ne pas se précipiter pour répondre aux demandes, de freiner notre ardeur pour nous offrir le temps de la douceur et de la délicatesse… A partir de là, s’est frayé le besoin de réfléchir à la visée de la thérapie : que cherchons nous ? où sont nos finalités, nécessités, efficacités ? A ce moment de notre cheminement est apparue la remise en cause de notre posture de thérapeute, traduite ainsi par l’une d’entre nous : Comment instaurons-nous un système d'objectifs implicites, façonné par les besoins et exigences du thérapeute (tels que la quête de reconnaissance, le désir de se sentir puissant et compétent, etc.) ainsi que ceux du patient/client ? Ce système pourrait nous conduire à nous concentrer sur notre efficacité en influençant l'autre plutôt que de nous centrer sur nous-mêmes, nous éloignant ainsi d'une approche gestaltiste caractérisée par le lâcher-prise, l'acceptation de l'incertitude, la patience prolongée et une présence soutenue. Au cœur de ce chantier effervescent, est venue la question troublante et lancinante de ce qui anime notre être thérapeute ? de ce qui nous pousse à agir ? à faire ce métier ? à nous engager dans la Gestalt-thérapie ?
Devant l’ampleur de notre thématique, il devenait nécessaire de préciser notre orientation et de revenir à une formulation plus claire et prosaïque. Nous sommes parvenues à :
« Pour quoi la thérapie ? Attentes croisées entre le patient et le thérapeute. »
Ce questionnement direct a mobilisé les auteurs ! Notre dossier s’ouvre avec l’article d’Emmanuelle Gilloots qui vient bousculer nos valeurs en proposant de déconstruire un certain nombre de représentations socio-culturelles. Ce texte, qui transcrit fidèlement l’intervention de l’autrice le 20 avril aux Journées de la FPGT, vient nourrir la portée politique de la Gestalt-thérapie, dans la filiation libertaire et anticonformiste de Paul Goodman. Fait directement suite l’article de Stéphanie Féliculis qui, tel un détective, traque quelques implicites dans notre pratique, comme la bienveillance, la stabilité, la neutralité... Le témoignage choisi par Sylvie Schoch de Neuforn vient à point pour illustrer la nécessité pour le thérapeute d’accepter d’être désorienté et capable de se réformer face à un patient prétendu difficile. Sur ce fil fragile, Cédric Le Bas aborde la difficulté de garder l’équilibre sans basculer dans des polarités excessives, risque qui guette le thérapeute dans le climat actuel de violence sociétale et qui touche également nos associations professionnelles.
S’ensuivent trois articles cliniques émouvants tant l’implication du thérapeute est sensible. Brigitte Baronetto se livre dans une lettre de reconnaissance à sa plus ancienne patiente sans faire l’impasse sur les tribulations vécues dans cet accompagnement. Frédérique Daverat partage le chemin qui l’amène à se départir de l’image confortable de la « bonne thérapeute ». Enfin Katouchka Collomb nous parle de son propre parcours en tant qu’analysante et trace des liens avec le témoignage écrit de deux de ses patientes. Dans ces différentes expériences, il apparaît là-encore combien le thérapeute, parfois désemparé, se laisse transformer par la situation vécue. Pour ponctuer ce dossier, Sylvie Schoch de Neuforn nous apporte, non sans humour, un trésor de phénoménologie appliquée en citant une lettre étonnante de Maurice Merleau-Ponty à l’adresse de son ami Jean-Paul Sartre. Tous, thérapeutes que nous sommes, pouvons en prendre de la graine !
Dans la rubrique « J’ai lu, j’ai vu, j’ai entendu », notre thématique s’élargit grâce à deux notes de lectures qui engagent notre éthique. La première présentée par Emmanuelle Gilloots fait référence à notre conception de la santé en s’appuyant sur un extrait du livre Regards croisés sur la psychothérapie (Edmond Marc et Chantal Masquelier-Savatier – ed. Enrick B. 2020). Cette réflexion se poursuit par le regard sociologique porté par la lecture de Happycratie (Edgar Cabanas et Eva Illouz – Premier parallèle 2018) commenté par Chantal Masquelier qui remet en cause la quête du bonheur promise par certaines thérapies. Sur un versant fantaisiste et créatif, cette rubrique nous emporte ensuite de manière théâtrale dans les escaliers du métro grâce à Catherine Bolgert et de manière musicale grâce à Edith Laszlo à l’écoute du tout récent CD de Patrick Mamie Gestalt Music / inspiration.
Nous vous souhaitons beaucoup de plaisir à parcourir ce numéro de notre revue A-Dire qui donne à penser sur notre conception de la thérapie et plus précisément de la Gestalt-thérapie, réflexion qui se poursuivra dans le prochain numéro. Cependant, nous ne pouvons clore ces pages sans rappeler l’appartenance de notre revue à la FPGT, telle que le fait fidèlement Rose Christin qui résume cette fois les dernières rencontres fédérales à Lyon des 20-21 avril 2024.
Chantal Masquelier-Savatier
À Dire n° 7 - Printemps 2024 - Sommaire
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