Courrier des lecteurs

Claire Mignot

Quand je reçois « A Dire », j’éprouve toujours de la reconnaissance envers les contributeurs.trices, qui alimentent ma réflexion et mon sentiment d’appartenance à la communauté gestaltiste. C’est pourquoi j’ai voulu répondre au mois de juin au sondage que nous avait envoyé le Cercle Ecriture pour recueillir nos réactions. J’ai fait part, entre autres choses, d’une difficulté que j’éprouve à la lecture. Il m’a été demandé de partager cela dans le courrier des lecteurs, pour savoir si ma problématique est ressentie aussi par d’autres. J’ai trouvé difficile de mettre des mots sur les sensations floues que j’éprouvais, mais voici les idées que j’ai finalement rassemblées, qui gagneront à être rapportées à d’autres réactions.

Je constate, numéro après numéro, que je ne parviens pas à m’approprier comme je l’aimerais le contenu de ce qui nous est envoyé. Malgré l’introduction apportée par l’édito, au fil de la lecture, je perds fréquemment le fil autour duquel s’ordonne le numéro. J’apprécie chaque article pour lui-même, mais pourtant, j’ai souvent du mal à aller au bout, et aussi à le lire en lien avec les autres.

On dirait que, ayant été conditionnée à lire avec l’objet livre, il me manque des sensations, des repères bien corporels. Mes réflexes de lectrice continuent de s’activer sur ce mode ancien, et... ça beugue. En lisant un article, si mon esprit me propose de revenir à une phrase lue dans l’édito ou à une idée abordée dans un article précédent, pour les mettre en lien, aussitôt quelque chose en moi se met en mouvement, avec l’envie pour mes mains de sentir quelque chose qui pèse son poids, pour mes doigts de faire défiler sensiblement des pages, pour mes yeux de se poser sur un papier et non de ressentir la lumière d’un écran. La façon que j’avais de tenir plusieurs pages ouvertes ensemble, séparées autant que reliées par mes doigts (par exemple, la page 3 et aussi les pages 14-15 et encore la page 34), pour y lancer des coups d’œil alternatifs et répétés et cogiter au fil de ce lancer de regards, je dois aussi y renoncer dans sa forme d’avant. Et en fin de compte, il y a un plaisir, une cohérence de lecture que j’ai du mal à trouver, comme si quelque chose s’éparpillait au fil des clics nécessaires pour passer d’un article à l’autre. Je pourrais dire que j’ai une lecture fractionnée, saucissonnée, mais en même temps ça me donne une impression de longueur, de difficulté pour m’y retrouver.

J’ai beau faire des efforts pour rééduquer mon cerveau et l’habituer aux modalités de lecture actuelle, puisque je lis régulièrement sur écran, en ouvrant différentes fenêtres si nécessaire, cette rééducation n’est pas totalement concluante à ce jour, semble-t-il. Imprimer sur feuilles volantes n’a pas vraiment résolu la question. Certains d’entre vous ont-ils surmonté une difficulté du même ordre ? Les lecteurs plus jeunes, familiarisés plus tôt avec la lecture sur écran, comprendront-ils complètement de quoi je parle ? Je m’interroge sur nos façons différentes de recevoir sensiblement ce qui nous est ainsi envoyé par le canal virtuel.

Et quid du côté émission des données ? Si je rejoignais l’équipe de celles ou ceux qui « fabriquent » A Dire, je travaillerais telle que je suis, avec mon imprégnation ancienne. Ce sont d’autres corps pleins d’esprit qui s’occupent de préparer pour nous ces ouvrages destinés à nos esprits pleins de corps. De quel bagage corporel est empreint l’ensemble de toutes les décisions prises par ces corps pensants, pour produire un nouveau numéro, tel qu’il est ? Est-ce que ça reste (ou non) un ouvrage élaboré avec en fond tous les repères inhérents à ceux d’une parution papier, mais seulement donné à lire sous une forme bien différente, et ça produirait quelque chose (autre que des bénéfices comme la souplesse et la gratuité) ?

Je suppose que ces questions ont été étudiées dans bien d’autres lieux consacrés à la rédaction et à sa mise en forme, mais je n’y connais pas grand-chose. Alors, tout cela vous parle-t-il ? Affaire à suivre ?

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