La relation thérapeutique : une influence réciproque
La relation au cœur du processus thérapeutique joue un rôle majeur dans la direction qu’il prendra. On peut espérer qu’il aille vers le « être bien », qu’il permettra une meilleure adaptation et prise en compte des défis environnementaux, qu’il apportera une réponse au besoin de sens du patient, que ce dernier puisse reprendre le pouvoir sur sa vie et atteindre une certaine résilience en créant du nouveau au-delà des obstacles et adversités rencontrées.
1 - Au cœur de l’influence : l’alliance
De nombreuses études ont montré que l’alliance thérapeutique générée par la relation qui se construit au fur et à mesure des séances, est la plus prédictive des variances du succès thérapeutique. La qualité du thérapeute et la forme de la thérapie (l’orientation théorique du thérapeute) jouent un rôle, mais dans une moindre importance, et surtout, ne présument pas du résultat. Ce que nous entendons par qualités du thérapeute, c’est qu’il soit : chaleureux, empathique, présent, ayant des réponses ajustées et sensibles au plus près de l’expérience subjective du patient, avec une intentionnalité et une habileté dans l’usage de la pratique thérapeutique, possédant une compétence pour savoir réguler ses propres états émotionnels et avoir une réflexivité en action, œuvrant avec flexibilité en fonction de la singularité du patient.
2 - Les composantes de l’alliance
Cette alliance thérapeutique, difficilement quantifiable, est en revanche observable. Elle se définit par un lien affectif et donc par un investissement entre le patient et le thérapeute, et aussi, par une collaboration. Cette dernière implique un engagement au service de la relation afin de dépasser les composantes affectives relationnelles négatives telles que la méfiance, l’hostilité, la séduction.
Tout d’abord le lien affectif : il se construit, déjà marqué par des histoires de vie. En effet, être en capacité de nouer une relation affective et affectante à son donneur de soins est indispensable et cela au moins dans les 1000 premiers jours de la vie selon Joanna Smith. Elle imprime une signature, constituée par des empreintes de vie que d’autres personnes avant nous, thérapeutes, ont tracé. Cette forme, cette qualité de contact qui s’active, héritage de la relation d’attachement qui a pu prendre place, va inévitablement orienter la façon dont l’entrée en présence va se faire, dans cette situation où le patient est fragilisé. En effet entrer en présence, c’est toujours prendre le risque d’une certaine qualité de rencontre. Cette signature impose un ton et influence la façon dont thérapeute et patient vont co-exister dans la situation. Selon Christine Genet et Estelle Wallon[1], « l’enfant a besoin de protection, de réconfort, de chaleur affective de la part de ses donneurs de soins. En cas d’alarme, le système d’attachement s’active et amène l’enfant à se tourner vers son parent pour obtenir protection et proximité en adoptant des stratégies de comportements spécifiques »
Ensuite, la collaboration : c’est être actif pour obtenir ce que l’on cherche. C’est un autre ingrédient qui, du fait de la co-influence, pourrait basculer dans une dynamique relationnelle sous emprise. Comme Virginie Vandenbroucke nous l’indique [2]: « pour survivre, l’être humain fait constamment une analyse des menaces potentielles de son environnement et de ses interactions pour estimer s’il est en sécurité ou pas. Nous sommes prêts à faire confiance aux autres et à nous connecter dès que nous avons le sentiment d’être en sécurité. Stephen Porges nomme cet état « neuroception de la sécurité ».
3 - Les ingrédients de cette co-influence
La relation thérapeutique existe avec une asymétrie de place. Le thérapeute est censé être le sachant, le professionnel qui est consulté par une personne en situation de vulnérabilité. Il est aisé d’imaginer que la figure du thérapeute va être investie d’un pouvoir que le patient n’a pas ou plus, et qu’il tente par tous les moyens de retrouver. On peut également présumer qu’il sera dans sa demande d’aide plus facilement suggestible et sensible aux paroles échangées. Dans son envie de bien faire pour améliorer sa condition, plus enclin à entendre ce qu’il comprend qu’on lui dit comme une demande, voire, à être en attente d’introjects. Cette vulnérabilité d’un « mode je », qui souffre ou est immature, est au cœur de l’influence qui peut devenir de l’emprise. Le patient est d’autant plus attentif qu’il ne sait pas et donc cherche à savoir, à bien faire, alors que le thérapeute est censé avoir ce qu’il n’a pas, et savoir ce qu’il ne sait pas. Ainsi, être une figure d’autorité au regard du patient induit déjà une orientation.
Le mode d’intervention sur la qualité de contact de la relation mobilise les affects. Les formulations gestaltistes orientent l’attention du patient en vue d’une prise de conscience de ce qui se passe. Cette observation sert de tremplin à une cognition incarnée de la situation. Cette proximité de corps et d’attention centrée sur l’ici dans l’instant instaure et peut favoriser une focalisation où tout extérieur, ailleurs, tend à disparaître et où l’émotion vient en premier plan. Cela peut déstabiliser encore plus le patient. Dans cet état d’ouverture et aussi de stress, le système d’attachement se déclenche et, avec lui, toutes sortes de comportements pour trouver des ressources qui lui permettent de surmonter cette tension. Le patient est livré à la bienveillance ou à la malveillance d’autrui. Ses affects peuvent être manipulés vers la honte, la culpabilité, la critique, il peut se juger ou se sentir jugé, car le vécu se tisse toujours à partir d’ingrédients déjà là.
4 - La bascule vers l’emprise
La relation peut tourner à la fascination. Dans ce cas, le patient investit son thérapeute comme étant quelqu’un à satisfaire au point de se couper de sa subjectivité et des signaux de son corps dans son désir d’évoluer, pour répondre à la question, remplir les silences, tenter désespérément un « aller vers » dans l’angoisse, par peur de la réaction ou de la réponse. L’angoisse générée par cette attente que le self se déploie, est un facteur favorisant, voire précipitant pour certaines personnes. L’espoir, les attentes et les projections peuvent affecter également le contenu de la relation. Dans ce cas, le patient s’applique à ne pas décevoir, à établir un lien si possible de fusion afin de se sentir inclus, accepté. Il cherche également à capter l’intérêt pour surtout ne pas être rejeté et ne pas revivre un potentiel abandon, une maltraitance relationnelle supplémentaire. Pour peu que le thérapeute n’y soit pas sensible ou ait un objectif (affirmer un pouvoir, abuser de la vulnérabilité et de la suggestibilité du patient, s’assurer un revenu…), pour peu qu’il ne voie pas ou ne prenne pas en compte les tentatives que fait le patient pour être accueilli avec ce qui l’habite, alors les éléments en présence sont réunis pour que le climat d’emprise se recrée. Dans cette co-influence, il doit y avoir également une part active du thérapeute dont la capacité de contact est percutée au niveau de son narcissisme, de ses besoins ou de son désir d’être pour l’autre – celui qui prend en charge, qui devient directif – et non pas celui qui est avec l’autre.
Cette jeune patiente vient me consulter, et tout de suite je sens à la fois de la méfiance et une demande d’aide pressante. Sans que je puisse lors des premiers entretiens lui définir clairement et complètement le cadre et les règles qui organisent les séances, elle se livre à moi sans retenue aucune, notamment suite à une précédente expérience d’abus thérapeutique. Un sexologue a abusé d’elle. Elle y est retournée 4 fois pensant bien faire, et surtout, endoctrinée par un discours la culpabilisant de ne pas faire ce qu’il faut. Elle est en larmes et s’en veut profondément. Je suis touchée par sa détresse et je ne peux m’empêcher de me dire que sa vulnérabilité ouvre la porte à la prédation. Dans le même temps, je peux vivre des moments où elle a tendance à m’évaluer en me faisant clairement comprendre qu’elle attend des résultats et que cette fois-ci elle ne se laissera pas faire, ne gobera pas tout cru ce que je pourrais lui dire. L’influence du poids de la parole entre nous est d’emblée apostrophée de façon agressante. Ma parole est freinée, entravée, comme la sienne a pu l’être. Il va falloir que je me glisse dans le sillon indiqué si je veux avoir droit au chapitre. Le passé hante et donne le ton. La confiance a été trahie.
Je me rends compte, comme le dit Delphine Guérard [3] psychologue et experte de l’emprise sectaire, que : « l’individu accepte des souffrances censées être indispensables à son évolution, à la relation (sentiment d’élection, d’exclusivité) ».
Ce désir pour l’autre, peut amener le thérapeute à pacifier prématurément ce qui se passe par des formulations induisant des interprétations, recherchant une proximité pour se sécuriser lui-même, une familiarité voire une séduction pour tenter de s’aliéner le patient et créer quelque chose de l’ordre de la confluence. La crainte permanente des deux côtés prend les commandes de cette co-présence où la menace plane sur fond de tension émotionnelle. Le prix à payer serait de ne plus être inclus d’un côté, ce que craint le patient, et de l’autre, de ne plus être valorisé, ce que craint le thérapeute qui veut se sentir compétent et légitime. Ce cocktail explosif peut générer l’emprise. L’envie de bien faire, de collaborer, de se sentir inclus dans le lien affectif, est inhérent à toute relation. Il y a là un don de confiance, de bientraitance implicite, qui n’est pas questionné ou remis en cause par le patient car le thérapeute est là pour prendre soin puisqu’il sait. La confiance vis-à-vis du thérapeute est totale et la relation de dépendance instrumentalise cette confiance et s’installe. L’alliance thérapeutique n’est plus une négociation intersubjective pouvant inclure des moments de ruptures ou de réajustements, elle devient rigide et orientée quels que soient les mouvements.
Il me semble que, dans les attentes et la volonté de bien faire du patient, l’angoisse et/ou la tension émotionnelle que peut générer la présence engagée mais silencieuse du thérapeute, peut s’activer la colère, et aussi, un retrait ou une soumission pour tenter d’adoucir la situation de stress dans laquelle la personne se vit. Cette bascule relationnelle est délicate.
Si la personne répond à ce type de profil – elle a besoin d’être prise en charge et/ou a déjà subi une emprise dans son enfance – elle ne va pas identifier la violence que cela lui fait, et plutôt la reconnaître comme étant un phénomène normal et habituel. Si elle a vécu un évènement tragique dans sa vie – décès, maladie, accident – elle va chercher de l’aide tout en se trouvant dans une situation de vulnérabilité propice à l’emprise. Une intervention thérapeutique doit être modulée en conséquence pour ne pas retraumatiser la personne et ainsi potentiellement installer des mécanismes d’emprise.
Régine Cludy
Gestalt-thérapeute, superviseure, formatrice exerçant à Paris. Directrice pédagogique de l’école de formation à l’accompagnement thérapeutique Savoir Psy.
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1 - Smith Joanna (sous la direction de), Le grand livre des 1000 premiers jours de vie,
Dunod, Paris 2021
2 - Neuroception de la sécurité, Ed Porges, 2011
3 - Guérard Delphine, L’emprise sectaire. Pathologie des gourous et des adeptes de sectes,
Dunod 2022
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