J’ai vu "Bouddhisme, la loi du silence"
Documentaire diffusé sur ARTE
Tiens donc, chez eux aussi, chez les bouddhistes ! C’est stupéfiant de constater que la tentation de l’abus de pouvoir ne concerne pas seulement notre civilisation judéo-chrétienne occidentale et patriarcale. Serait-ce un fait de société contemporain ou une constante qui œuvre en sourdine à travers les siècles pour n’apparaître au grand jour que maintenant ?
Ce documentaire nous fait voyager tels des explorateurs à l’affût de découvertes de plus en plus surprenantes pour un spectateur qui idéaliserait encore la spiritualité et la sagesse orientale. A partir de Liège (Belgique) où se déroule le procès de Robert Spatz en 2019, les journalistes nous emmènent visiter le « Château de Soleils » dans les Alpes de Haute Provence, le monastère de Dharamsala en Inde, puis le temple de « Lérab Ling » dans l’Hérault, et enfin un centre de retraite en Espagne. Nous voici associés à l’enquête qui met en cause plusieurs gourous tels Robert Spatz, Sogyal Rinpoché, et quelques autres, dénonçant des pratiques abusives tant sur le plan de la maltraitance et de la sexualité que sur celui de manœuvres financières frauduleuses. La réalité de ces abus est maintenant démontrée, et pour la plupart, ces faits sont signalés aux instances judiciaires des pays où ils se sont produits.
La vue de ces observations révoltantes éveille un questionnement qui rejoint celui soulevé par le texte d’Emmanuelle Gilloots dans ce même numéro sur « La confiance en question » :
- En premier lieu, nous relevons l’indécence liée à la vulnérabilité des victimes, surtout lorsqu’il s’agit de mineurs dont l’éducation est confiée aveuglément à un centre spirituel réputé. Nous retrouvons chez les maîtres bouddhistes les mêmes déviances maltraitantes et pédophiles que celles qui se révèlent dans les institutions religieuses chrétiennes ; et les mêmes tendances au déni pour protéger les officiants.
- Ensuite, nous déplorons l’extrême confusion générée par l’attitude des prédateurs qui prétendent faire le bien de leurs adeptes. Par exemple, une victime raconte au tribunal que le maître stimulait ses parties intimes (seins et vulve) pour faire circuler l’énergie spirituelle qui traversait son corps. Nous retrouvons ces mêmes arguments chez certains prêtres catholiques qui vantaient l’inspiration divine pour justifier leurs pratiques d’attouchement et de viol. D’un côté comme de l’autre la victime est reconnaissante au maître religieux de la valoriser ce qui renforce ses croyances ainsi que sa soumission.
Par ailleurs, il semble intéressant de relever quelques spécificités de l’idéologie bouddhiste qui la distingue de la mentalité chrétienne :
- Le bouddhisme tibétain encourage toutes les formes d’ouverture à la spiritualité. Tel qu’énoncé dans le documentaire, un Maître peut employer tous les moyens possibles, y compris la violence et le mensonge, pour aboutir à la conversion des fidèles. Il semble donc naturel que le Lama s’entoure d’une cour de favorites et dispense ses faveurs qui peuvent aller jusqu’aux relations sexuelles. Les concubines ainsi choisies se sentent élues et unies au gourou par un lien sacré. C’est une chance pour elles ! Le secret est la condition de protection de l’intimité de cette union spirituelle.
- L’entourage du gourou est régi par une forme de hiérarchie sociale qui renforce un système de domination. Par exemple, le centre créé par le célèbre Sogyal Rinpoché accueille des milliers de fidèles déçus par le matérialisme de la civilisation occidentale et attirés par la sagesse de l’enseignement de Bouddha qui prône le détachement au bénéfice d’une aspiration mystique. Dans cet encouragement au renoncement, les disciples se prêtent volontiers non seulement à payer grassement leur séjour mais sont poussés à la générosité des dons consacrés à l’extension et la multiplication des monastères. Le sort des simples fidèles contraste avec le luxe et l’opulence affichés par les personnalités importantes qui vivent dans la proximité du Maître mégalomane.
- L’organisation du bouddhisme n’est pas institutionnalisée si bien que chaque gourou gère ses propres affaires sans en référer à personne. Cette liberté place les initiatives dans une concurrence qui suit la loi du marché et peut donner cours à un développement outrancier. Cependant l’appartenance au bouddhisme tibétain crée des références communes et engendre une certaine solidarité. Ainsi une vingtaine de maîtres bouddhistes, inquiets de la gravité et de l’ampleur des dérives ont interpellé le Dalaï Lama dès 1993, mais la rédaction de leur accord pour condamner les abus sexuels fut dénuée d’effet car jamais signée par le grand Maître. Si bien que tout laisse à penser que le Dalaï Lama, très soucieux de son intérêt politique, a préféré minorer les problèmes en protégeant ses acolytes.
Pour conclure ces réflexions, j’aimerais souligner que la démesure et l’imposture observées chez certains religieux, quelle que soit leur obédience, guette tout un chacun et particulièrement les thérapeutes que nous sommes. La tentation de la grandiosité et la sensation intense donnée par la manipulation des foules d’adeptes est séduisante, stimulante, grisante, parfois délirante. Puissent l’appartenance à nos fédérations professionnelles, et l’exigence de la supervision nous donner les moyens de garantir notre éthique et notre déontologie pour éviter de verser dans la toute-puissance et le sectarisme !
Chantal Savatier-Masquelier
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