Saveurs et décadences de l’emprise
Quelle est cette expérience de l’emprise ?
Je suis allée la rencontrer dans la littérature.
« Et devant moi, le monde [1] », récit de vie magnifique qui a choqué à l’époque. Joyce Maynard y raconte son histoire avec Salinger, cet écrivain de cinquante-trois ans alors qu’elle en a dix-huit, et décrit son combat pour se sortir de l’emprise alors même que l’écrivain l’a quittée de façon inattendue et cruelle. Comme si elle n’était qu’un objet, une valise qu’on a laissée là sur le quai d’une gare. Et elle plonge dans les racines de son enfance et de son adolescence pour tenter de comprendre comment elle a pu être ainsi « attachée ».
« Le consentement [2] », premier roman-récit de Vanessa Springora. A quatorze ans, Vanessa est séduite par un célèbre écrivain, Gabriel Matzneff, quarante-neuf ans, relation qui laissera des traces terribles tout au long de sa vie de femme.
L’empreinte !
L’emprise a aussi été mon expérience.
L’emprise a une saveur amère, aigre-douce.
Quelle est cette saveur de l’emprise ?
Quelle est cette ligature qui a une filiation avec la déliaison, l’intrusion et la sidération en langage psychanalytique, la perte des frontières, en langage gestaltiste, la liquéfaction, l’effondrement comme conséquences, l’incapacité face aux séparations et au désir d’autonomie.
Dans l’emprise, j’ai ressenti une « attraction délicieuse et innocente » vers un autre qui faisait figure d’autorité.
Dans cette expérience, j’ai été collée comme un aimant à son enclume, ses crochets dans ma chair, comme une addiction. C’est dans le corps… c’est donner son corps en gage pour une dette à payer.
Ça donne une forme floutée et poreuse qui accorde tout pouvoir à l’autre, une forme tellement enchevêtrée et à la fois captivante, fascinante, dont la mission me convoque à ne plus exister, bloquée psychiquement, gelée, dans un contrat inconscient symbiotique à l’autre.
Je disparais.
Le JE… disparaît.
Je suis perdue,
En toi.
C’est une manière de SUR VIVRE…
Parce qu’en amont, l’histoire va ramener sa trace, dans des carences affectives, une solitude incommensurable, une détresse.
Confluence pathologique,
Manque d’individuation,
Confusion,
Perversion.
L’emprise, comme une décadence, le déclenchement de toutes les tares humaines, de la séduction narcissique perverse à nos peurs les plus anciennes, à l’inceste, à l’incestuel comme une glaciation qui instille soupçons, secrets et silence.
Blessures réveillant nos insécurités d’enfants, profondeur de l’abîme, terreurs archaïques.
Ne plus exister, c’est la psychose ou quelque chose pour y échapper, comme la perversion car nous savons que celle-ci est une manière de ne pas sombrer dans la psychose…
Comment déconstruire l’emprise ?
Car exister c’est se responsabiliser, thème cher à la Gestalt, être dans son axe, aligné, trouver ses frontières, les nommer, ses limites, son éthique, c’est consentir car le consentement suppose l’intégrité, la capacité à la réflexion et à la réflexivité, c’est devenir qui on est.
C’est mettre du tiers,
Pour sortir de la peur.
Pour sortir des symptômes et du même coup de l’emprise…
C’est VIVRE !
Katouchka Collomb
Psychologue clinicienne, gestalt thérapeute du couple,
travaillant et vivant dans l’Ain, entre Genève et Lyon.
Autrice de La face cachée de l’inceste, de l’emprise à la femme libre, Editions l’Harmattan.
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1 - Joyce Maynard, Edition Philippe Rey
2 - Editions Grasset
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