J’ai lu "L’influence qui guérit"
de Tobie Nathan
Dans le paysage français de la psychologie, de la littérature et de la pensée, Tobie Nathan est un homme d'influence. Il a créé plusieurs revues d'ethnopsychiatrie (la première en 1978), a fondé le Centre Devereux (centre de consultation et de formation en ethnopsychiatrie) en 1993. Il a également publié des dizaines de romans, essais, articles et textes scientifiques.
Dans ce livre, il prend "le risque d'une confrontation loyale avec d'autres pensées" (p. 28) et ose remettre en cause le système de la psychiatrie psychopathologisante et de la psychanalyse qui cherchera longtemps à le décrédibiliser et lui prête un esprit subversif.
L'influence qui guérit, publié en 1994, a valu à Tobie Nathan de violentes attaques de ces milieux auxquelles il répondra par un autre ouvrage, Nous ne sommes pas seuls au monde, en 2001. Prôner l’existence d’autres méthodes probantes de soin que le modèle occidental consisterait donc à le menacer ?
Une technique d'influence est une méthode ou un procédé visant à la modification de l'autre. En affirmant que la psychanalyse est comparable à d’autres techniques d'influence, et parmi elles, les thérapeutiques traditionnelles, Tobie Nathan passe pour un détracteur et un félon.
Sa pensée agile et érudite met un grand coup de pied à la toute-puissante du dogme thérapeutique unique. Pourtant, l’auteur ne tranche pas et s’efforce tout au long de l’ouvrage de penduler entre les concepts occidentaux et traditionnels, de se faire le passeur entre les univers culturels, de faciliter notre glissement d’un cadre de référence à un autre. Il cherche à obtenir une approche capable d’établir une relation de type psychothérapique avec des sujets originaires de cultures non-occidentales.
Tobie Nathan nous propose l’alternative inclusive de l’ethnopsychiatrie, méthodologie trans-conceptuelle qui a plusieurs particularités décrites tout au long de l’ouvrage : un travail qui se déroule si possible dans la langue du patient, sur des séances qui ne durent pas moins de deux heures et avec un collectif de thérapeutes et des témoins. Plus il y a de monde dans un dispositif thérapeutique, plus il est actif !
L’auteur ouvre des voies, mélange les genres et nous fait prendre conscience de notre ignorance et de notre aveuglement aux richesses et à l’altérité de ce monde. L’exemple d’une femme que les travailleurs sociaux incitent à divorcer de son mari polygame sans en mesurer les implications (lignée, alliances, appartenance, dot) est saisissant. On sent bien que si l’influence guérit, elle peut également nuire.
Le livre s’adresse - me semble-t-il - à un public déjà averti dans les domaines de la psychologie, psychanalyse, psychothérapie, de l’interculturel et se termine sur un cri d’alarme puisque le problème le plus aigu que devra traiter la France dans un tout proche avenir c’est celui de l’intégration de ses populations migrantes, nécessairement de plus en plus nombreuses et de plus en plus culturellement éloignées (p. 296).
Foisonnant d'exemples cliniques et théoriques multi-référentiels, on en ressort dans un bouillonnement. Toutefois, je me demande si, pour se laisser influencer et saisir la portée de ce précieux contenu, il n’est pas nécessaire d’avoir rencontré des personnes aux origines multiculturelles, migrants et exilés dans un contexte de relation d'aide, chose qui arrive rarement au cabinet.
Séverine Bourguignon
Nathan, Tobie, L'influence qui guérit, Poches Odile Jacob, Paris, 1994
Édito - De l'influence à l'emprise
« Le vers est dans le raifort, et il trouve qu'il n’y a rien de plus doux »Dicton juifNous ne...
À propos des violences sexuelles
La question des abus et de l’inceste, très présente dans notre ambiance sociétale, nous concerne...
Pour aller plus loin
OUVRAGESBacot Valérie, Tout le monde savait, un jour il m’aurait tuée, FayardBescond Andrea, Une...
De l'emprise
Elle s’appelle Marie-Bernadette, ou Paulette ! Abusée par un prêtre pendant près de 14 ans, elle...
Se reconstruire, disent-elles
Avez-vous vu les images des villes bombardées après l'armistice de 1945 ? Pendant des semaines,...
J’ai écouté "L’ emprise et les violences sexuelles"
Conférence de la Dr Céline BaisÀ l’occasion du cycle de conférences des Jeudis de l’EPG, la Dr...