J’ai écouté "L’ emprise et les violences sexuelles"
Conférence de la Dr Céline Bais
À l’occasion du cycle de conférences des Jeudis de l’EPG, la Dr Céline Bais a exposé des éléments de sa pratique en milieu carcéral pour les auteurs de violences sexuelles et particulièrement les pédophiles. Elle nous a éclairés sur les schémas de l’assujettissement et la mise sous emprise de l’autre.
Le préambule a été l’occasion d’un rappel de quelques définitions et principes, importants pour aborder l’emprise et les violences sexuelles à travers le prisme de l’enfant en danger :
- Pédocriminel est un terme judiciaire, utilisé pour définir une personne qui a commis un crime ou un délit ;
- Le pédophile est une personne qui souffre du trouble pédophile, définie par le DSM-V. Il n’agresse pas forcément un enfant prépubère, de moins de 13 ans. Son trouble peut se caractériser par des fantasmes répétitifs sur une période d’au moins 6 mois, sans passage à l’acte ;
- Le pédophile non-exclusif est une personne ayant également des relations sexuelles avec des femmes et/ou des hommes ;
- Une personne commettant une agression sur un enfant par opportunité ne souffre pas d’une pédophilie ;
- La perversion sexuelle, dite paraphilie, a déjà été définie par Krafft Ebing au 19ème siècle, dans son écrit « psychopathia sexualis » :
- Le pervers sexuel rend l’autre objet et le met sous emprise.
- Le pervers narcissique se caractérise par des traits égocentriques ; dépourvu d’empathie, affable, séduisant, charismatique, manipulateur, il se déploie avec pour but de mettre sous emprise néfaste son objet. Il s’agit d’une personnalité dite toxique.
Sur cette base, la Dr Bais attire l’attention sur le fait que si certaines personnes sont définies comme pervers sexuels, leur perversion peut s’exercer uniquement dans le domaine de la sexualité. La paraphilie s’exprime par la mise de l’autre sous emprise, par son instrumentalisation, en vue d’obtenir une jouissance. C’est ainsi que l’autre est déshumanisé et devient objet.
Comment le pervers sexuel agit-il afin de mettre l’autre sous emprise ? Il y a trois moments fondateurs :
- 1ère phase dite de la prise : le pervers essaye d’obtenir l’approbation de sa victime par la séduction. Il édifie une illusion face à laquelle l’autre va se trouver fasciné. Il sert à sa victime une histoire merveilleuse. C’est une lune de miel ! C’est aussi une rencontre !
- 2ème phase dite de la domination : le pervers souffle le chaud et le froid auprès de sa victime. Il alterne des phases de violence et de séduction pour maintenir l’autre dans un état de soumission et de dépendance. Ces alternances plongent la victime dans un état de sidération.
- 3ème phase dite de l’inscription du sceau de l’agresseur : avec cette phase la victime est dépossédée de sa subjectivité. Elle ne peut donc plus réfléchir par elle-même. Pour ce faire, le pervers utilise l’injonction paradoxale. Il peut aussi utiliser un langage très technique pour imposer sa supériorité à l’autre et/ou dire sans dire. Le mensonge et l’agressivité verbale sont aussi des armes utilisées par l’agresseur pour maintenir la sidération.
Comment l’emprise se manifeste-t-elle en cas de pédophilie ?
- 1ère phase : le pédophile va se mettre au niveau de l’enfant. Il s’intéresse particulièrement à un enfant en quête d’affection, peut-être délaissé, et se met à son niveau pour le séduire, pour lui montrer son intérêt envers lui.
Il est à noter ici que le pédophile souffre de distorsions cognitives. Il peut croire à l’histoire qu’il se raconte : « nous étions amoureux » ; « elle était mature pour son âge ». On assiste à une vraie confusion car l’adulte recherche de la sexualité alors que l’enfant est en quête d’affection.
- 2ème phase de domination ou de programmation : le pédophile met en place un chantage (ex : «tu ne voudrais pas que papa soit en prison») ; il menace ou cloisonne (ex : «tu es spéciale, tu es mon préféré, je ne le fais qu’avec toi…»).
Il faut savoir que l’enfant, dans un but par exemple de protection envers son frère ou sa sœur, dénonce difficilement son agresseur. La culpabilité peut aussi apparaître : « mon corps me trahit ». En effet, les zones érogènes stimulées offrent un plaisir mécanique dit de boucles réflexes, purement physiologiques.
- 3ème phase dite marque du sceau de l’agresseur – perte de subjectivité : le pédophile donne des explications sur la nature de ses gestes (ex : quand deux personnes s’aiment, elles dorment ensemble. Si j’aime ça, tu aimes ça aussi. Nous sommes une seule et même personne).
Une des caractéristiques de l’enfant abusé devenant adulte est de ne pas dénoncer les faits subis, car l’emprise est pour lui toujours présente. Pourtant, l’abus a cessé. Ces adultes peuvent d’ailleurs se retrouver dans des relations toxiques et pathologiques, en se remettant exactement dans la position où ils se trouvaient enfants.
La caractérisation du pédophile une fois établie, la Dr Bais a posé la question de la prise en charge des pédophiles en milieu carcéral.
En prison, il faut tout d’abord rappeler qu’il n’y a pas d’injonction ni d’obligation de soins.
La personne souffrant de trouble pédophile peut être en demande pour comprendre pourquoi elle souffre de telles pulsions sexuelles. Il s’agit alors de faire prendre conscience à l’auteur d’agressions que l’enfant n’a pas la liberté de consentement ; ceci en s’appuyant sur le processus décrit antérieurement, tout en passant en revue les différentes phases.
Il faut différencier à ce stade les pervers narcissiques, qui ne viennent pas en consultation sauf pour soutirer quelque chose ou essayer de mettre sous emprise…
Le Dr Bais nous éclaire sur les différences faites au plan juridique, en caractérisant les termes d’injonction de soins et d’obligation de soins :
- L’injonction de soins est une mesure de contraintes, conduite par un médecin coordinateur et le juge d’application des peines, plus le médecin psychiatre – psychologue.
- L’obligation de soins est un suivi de traitement par un psychiatre ou un psychologue. La personne sous cette ordonnance doit fournir des attestations de suivi au conseiller d’insertion qui interagit avec le juge d’application des peines.
Les soins proposés aux pédophiles dépendent de la gravité du trouble pédophile. Une échelle de gravité (6 niveaux) a été élaborée notamment par La Haute Autorité de Santé. Il est à noter que de la psychothérapie est préconisée à tous les niveaux. En psychothérapie, il s’agit d’établir une alliance thérapeutique qui ne banalise pas les faits et qui ne bascule pas dans le monstrueux. Il faut ainsi mettre le pédophile face à sa responsabilité, en reprenant le fonctionnement de l’emprise et en rappelant ce qu’est un consentement. Selon la gravité, un traitement médicamenteux peut être administré, de type anti-dépresseur, qui inhibe la libido (castrateur chimique) soit par voie orale, soit par injection.
Le groupe de parole est très usité aussi bien pour les adultes que pour les mineurs. S’agissant des mineurs condamnés pour violences sexuelles, le groupe est essentiellement psycho-éducationnel et axé sur la sexualité. Ces traitements sont préconisés en milieu carcéral, de même qu’en milieu ouvert, en CHU.
La Dr Bais aborde alors dans son exposé une autre paraphilie, à savoir le trouble sadique. A noter qu’il faut d’emblée différencier ce dernier d’un jeu sexuel sado-maso, où des règles entre les partenaires sont bien définies. Le trouble sadique se caractérise au contraire par le fait de vouloir emmener l’autre où celui-ci ne veut pas aller. Le sadique prend son plaisir dans la souffrance qu’il inflige à l’autre. Celui-ci n’est pas pris en compte. Dans le sadisme, il n’y a pas de consentement. A l’inverse, dans un jeu sexuel, le consentement est à définir entre partenaires pour établir ses propres limites et garder son libre arbitre.
Céline Bais informe l’auditoire que la structure du CRIAVS est une ressource pour soutenir les professionnels qui pourraient se trouver en contact avec des personnes souffrant de trouble pédophile ou en cas de suspicion sur une personne et de violences sexuelles. Elle met l’accent sur le fait, que confronté à des cas d’abuseur, il ne faut pas rester seul. Elle souligne ainsi à la fin de son intervention qu’un thérapeute est dans l’obligation de signaler au Procureur de la République un enfant en danger.
La conférence de la Dr Bais a mis en lumière un peu des tenants et aboutissants du travail d’un psychiatre en milieu carcéral. A ce titre, l’exposé a représenté une véritable source d’enrichissement pour ses auditeurs, ainsi qu’une meilleure compréhension de phénomènes trop souvent sources des maux dont souffrent les victimes.
Conclusion :
À la suite de cette conférence, je note combien il est important pour les victimes de violences sexuelles de restaurer la pression existentielle de la responsabilité et la saine agressivité, reprendre conscience de leur éprouvé corporel pour les aider à s’orienter au mieux dans la vie. Il s’agit donc de rétablir et soutenir leur pouvoir décisionnel, comprenant leurs besoins, leurs désirs, pour sortir de l’empreinte de l’emprise agissant encore alors que l’abus s’est arrêté depuis des années.
Emmanuelle Almansa-Golaz
Gestalt-thérapeute
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1 - Dr Céline Bais, psychiatre au CHU de Montpellier, référente au CRIAVS (Centre ressource pour intervenants auprès d’auteurs de violences sexuelles)
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