Conférence à l'EPG : "Quand le thérapeute écrit"
Je suis venue rue de l’Espérance ce jeudi soir 12 octobre 2023, attirée par le titre de la conférence : « Quand le thérapeute écrit », mais surtout curieuse d’en apprendre davantage sur le parcours d’écriture de mes deux collègues et amies, Rosine Rochette et Katouchka Collomb, mises à l’honneur ce soir-là dans les locaux de l’EPG. Me voici, sautillant les marches de la montée pierreuse et arborée, depuis la bouche du métro jusqu’à la butte aux cailles, avec un sentiment de connivence avec ces « canailles ». En effet, ce que je connaissais déjà de l’itinéraire hors norme de mes comparses me laissait présager une soirée sortant de l’ordinaire.
Une trentaine de personnes était au rendez-vous, dans une ambiance chaleureuse, en arc de cercle autour des protagonistes accompagnées de leurs interviewers. Une courte introduction de Gaël Rebel a ouvert l’espace au premier duo : la présentation de Rosine par Brigitte Stacke. Comme au théâtre après les trois coups, Rosine n’attendait que le feu vert pour nous livrer son histoire avec une délicieuse malice de conteuse : le regard pétillant, l’émotion sensible à travers des expressions savoureuses et imagées. Ce fut une tâche ardue pour l’animatrice de maîtriser et cadrer la richesse du flôt de souvenirs d’enfance de la future actrice. Son plaisir à se rappeler et à raconter était manifeste et nous emportait dans une vague romanesque, loin de nos préoccupations quotidiennes. Soutenue par le public, Brigitte qui tentait résolument de ramener Rosine à la thématique professionnelle annoncée, réussit à mettre en relief deux moments charnière illustrant la créativité de la jeune Rosine : sa qualité précoce de mise en scène lorsqu’elle montait d’étonnants spectacles à la récréation avec ses camarades de classe et son talent d’actrice devant un cercle d’admirateurs sur le perron de la somptueuse demeure de sa grand-mère en Suisse. Néanmoins Rosine insiste sur le malaise ressenti, qu’elle appelle « phobie », insécurisée par le contraste entre les conditions de vie privilégiées de la grande bourgeoisie et les chamboulements affectifs ressentis par la petite fille, née en 1936, à l’orée de la guerre.
Son échappatoire sera de quitter la famille qui déplore son choix de s’engager dans un parcours de comédienne dont elle cite des personnages célèbres tels Fabrice Lucchini qu’elle trouve odieux et Ariane Mnouchkine investie comme une mère tant exigeante qu’aimante. Au cours de son histoire parfois rocambolesque, Rosine a trouvé une aide précieuse dans la psychanalyse ; la découverte de la Gestalt-thérapie est venue plus tard grâce à la rencontre avec Paul Rebillot dans l’expérience du « Voyage du héros » mais le temps nous a manqué pour développer son orientation dans le « Clown Gestalt ». Interrogée sur sa persévérance dans l’écriture, Rosine répond que c’était « nécessaire ». Mon interprétation est que la nécessité résidait dans le besoin de trouver un fil conducteur à la richesse, la diversité et l’intensité de son parcours. Dans la conscience qu'elle a de vieillir, peut-être que l’écriture lui permet de trouver sens et réponse à sa quête existentielle.
Vint ensuite le tour de Katouchka présentée par Laurent Biscarrat. D’une voix posée et grave, l’autrice nous fait part de son trac dans cette situation inhabituelle, en présence d’un public inconnu. Elle ne ressent pas cet embarras dans l’écriture qui la protège, dit-elle. Enfant et adolescente, elle a toujours écrit et conservé ses pages de notes journalières. Ce qui la frappe dans ce journal intime, c’est l’absence de la question de l’inceste subi de la part de son père. Comme s’il était interdit de dire, impossible de nommer, de trouver les mots pour parler de la familiarité et de la répétition des viols qui habitaient sa vie. Son récit d’adolescente s’attarde sur l’anorexie sévère qui a entraîné une hospitalisation et failli l’emporter. Mais elle ne faisait pas le lien entre la violence vécue et la souffrance mortelle qui en découlait. Aujourd’hui le besoin de dire et d’écrire son histoire est devenu vital.
Dans son ouvrage Katouchka raconte sa relation amoureuse avec son père. Elle insiste sur sa participation active sans conscience, à l’époque, de la dimension perverse. Elle aurait aimé titrer son livre : « L’inceste amoureux » pour rendre compte de l’intensité et du plaisir éprouvé dans cette relation charnelle. Raconter authentiquement ces échanges érotiques ne suffisait pas à l’autrice qui cherchait à transmettre son expérience, la pensant utile à d’autres, par exemple aux psychothérapeutes. A cette fin Katouchka a persévéré pour trouver un éditeur, ce qui lui a demandé de remettre indéfiniment son travail en chantier, de remanier son texte, de négocier avec les maisons d’édition pour aboutir au titre : « La face cachée de l’inceste, de l’emprise à la femme libre ». Ce chemin vers la liberté s’est trouvé malaisé tant l’engrenage de l’abus a conditionné les aventures sexuelles et amoureuses de la suite. Envers et contre tous, l’autrice n’a pas triché en maintenant le côté impudique de ses descriptions, au risque de choquer le lecteur. Le jugement d’un collègue psychologue qui a traité son livre d’« obscène » a surpris notre autrice. Pourtant, l’étymologie latine du mot obscène signifie « qui ne doit pas être montré sur scène » confirmant l’influence et la pression sociale qui impose le secret et le silence sur des faits immondes.
L’attention de Laurent oriente le débat sur la fonction de l’écriture. Katouchka déclare : « ce n’est pas l’écriture qui guérit, c’est la thérapie ! ». Psychologue clinicienne, elle a rencontré la Gestalt-thérapie grâce à Anne et Serge Ginger qui l’ont sauvée. Devenue à son tour gestalt-thérapeute, elle s’interroge sur la visée de son ouvrage discrètement signé par son nom de jeune fille Van Ditzhuysen, ce qui préserve un relatif anonymat. Son dévoilement a permis la levée du voile dans sa famille proche tout en chamboulant et transformant les rapports. Consciente de l’impact de la lecture de son récit, Katouchka ne souhaite pas l’ouvrir à ses patients ; ce qui risquerait de perturber et dévoyer la relation thérapeutique. Elle se réserve la possibilité d’en parler au cas par cas aux personnes accueillies en supervision ou en formation. Cette question reste délicate car dans un double mouvement qui peut sembler contradictoire, Katouchka souhaite exposer son expérience tout en constatant l’indispensable humilité pour ne pas s’offrir en modèle ou chercher la notoriété.
Le point commun entre ces deux femmes écrivains est leur audace ! Audace de vivre hors des chemins balisés, de s’affranchir de la norme, de narguer la bienséance, d’oser inventer et surprendre. Avec le risque de payer cher leur insolence parfois incomprise.
Audace de dire et d’écrire ce que l’entourage cherche à cacher. Si leur dévoilement impertinent frise parfois l’indécence, il contribue à une construction libératoire et s’accorde pleinement avec la démarche gestaltiste qui donne une forme congruente à des parcours chaotiques. S’autoriser à braver l’interdit de dire et sortir du déni dans une quête d’authenticité nous donne une leçon d’humanité dont je suis reconnaissante et admirative !
Chantal Masquelier-Savatier
À Dire n° 6 - Automne 2023 - Sommaire
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