Accompagner en visio - repères
L'expression communication virtuelle a longtemps été utilisé pour définir ce nouveau mode de contact qu’est la visio. Virtuel s’oppose à réel. On a parlé de visio-conférence, de communication à distance, on est aussi passé par le nom des applications : on fait un Skype, un Zoom. Aujourd’hui on dit couramment « faire une visio » ou « s’appeler en visio ».
Quand on regarde le champ lexical du mot virtuel, parmi les synonymes les plus évoqués on retrouve une tendance plutôt optimiste avec possible, potentiel, réalisable ; et une autre plus fermée avec incorporel, immatériel, théorique ou abstrait. Du côté étymologique on retrouve le latin virtualis (qui n’est qu’en puissance) lui-même issu du latin virtus (vertu ou courage).
L’ambiguïté autour du sujet est déjà posée dans cette observation. D’un côté du possible, de l’autre de l’irréel. Aujourd’hui encore, certaines personnes opposent la formule de « la visio» à celle de « se voir en vrai ». Comme si ce contact n’était pas vrai. Pas vrai en quoi ? On se parle, on s’entend, on interagit, et en plus on se voit. Et tout ça en temps réel. Si on extrapole, la communication par téléphone serait-elle fausse ? Je n’entends jamais dire d’un entretien téléphonique qu’il est virtuel, ou que ce n’est pas un vrai contact.
Par conséquent, je dirais qu’il y a deux différences fondamentales entre présentiel et distanciel, entre communication physique et visio :
- Dans ce mode de contact nous ne sommes pas dans un même espace, chacun est dans sa réalité
environnementale ;
- Nous ne sommes pas en présence corporelle (donc privés de certains sens). Mais avec un bémol : ce
n’est pas parce qu’on ne peut pas se toucher que le corps est exclu du champ.
Lorsque la visio s’est imposée dans nos vies, nous étions dans une frustration de rencontres physiques. La crise sanitaire, traumatisante pour beaucoup d’entre nous, nous a obligés à avoir recours à cette nouvelle forme de communication. Avant cette période, son utilisation n’était qu’embryonnaire et principalement professionnelle. Si sa pratique a été associée à un pis-aller, elle a aussi permis d’en découvrir les avantages. Chacun de nous s’est débrouillé avec la technique. Nous n’avons pas eu de mode d’emploi, et avons expérimenté cette nouvelle forme pas à pas, avec plus ou moins de facilité et de plaisir selon nos aptitudes techniques, notre conception de la communication, notre capacité à être en lien et surtout notre niveau d’ouverture au changement.(1)
Ma génération a connu l’avènement de la communication téléphonique ; je repère exactement les mêmes freins, le même processus d’adaptation. Le grand boum des télécommunications s’est produit en 1979. Cette année-là, nos numéros de téléphone sont passés de six chiffres à huit. Ce qui a fait exploser le réseau téléphonique ainsi plus puissant. Je me suis intéressée à la question quelques années plus tard pendant mes études supérieures en commerce et communication.
Si certains étaient très à l’aise au téléphone, dans le contexte personnel ou professionnel, d’autres maudissaient cette forme de communication, privilégiant le présentiel. Le phénomène du développement de la communication par téléphone a du commun avec celui de la visio : innovation, changement, résistance, adaptation.
À l’occasion de cet article, je vous propose :
- Principaux avantages de ce mode de contact
- Quelques repères techniques
- Réserves et précautions à ce mode de contact
- Ajustement à la nouveauté
Principaux avantages de la visio
Ils sont plus ou moins évidents, plus ou moins conscients, tant pour nous professionnels que pour nos clients/patients.
- Le gain de temps : plus besoin de se déplacer, en un clic nous voilà connectés.
- Le gain d’argent par conséquent. Plus de transport ni de parking. Pour ma part plus de frais de
cabinet, je consulte exclusivement en ligne, j’ai un bureau à domicile.
- Limitation du stress.
- Pas de contrainte géographique ou temporelle : ni pour vous, ni pour vos clients. Il suffit de bien
gérer les fuseaux et décalages horaires pour l’étranger. Vous pouvez vous déplacer ou prolonger un
séjour sans être tributaire de votre agenda (à condition d’avoir un bon réseau).
- Protection : les virus ne circulent pas à travers les écrans.
Dans notre métier, j’ajouterais une autre forme de sécurité : au cours de mes nombreuses années de pratique en présentiel, il m’est arrivé de me trouver en situation critique (clients agités, avec antécédents de violence, profils psycho-pathologiques comme celui qui m’a présenté sa collection de couteaux en pleine séance ! Ou d’autres présentant des troubles psychologiques peu rassurants, et je vous laisse allonger la liste…). En visio, ce genre de situation n’est plus à craindre.
- Image de soi : la plupart des applications affichent à la fois l’image de notre interlocuteur et la nôtre. En présentiel on n’a pas le reflet de sa propre image. Est-ce un avantage ou un inconvénient ? Libre à chacun de répondre à cette question, toujours est-il qu’elle est pour nous thérapeutes, l’occasion d’un nouveau support de travail. Pour certains c’est rassurant, ça permet d’ajuster son image personnelle, son décor ou l’effet visuel rendu. Pour d’autres, c’est plutôt dérangeant. Se voir en permanence dans l’interaction peut déstabiliser. Tous les outils utilisés aujourd’hui en ligne permettent de masquer (pour soi) la vignette. Les conditions du face à face en présentiel sont ainsi retrouvées : je te vois, tu me vois, mais je ne me vois pas. Il suffit de vérifier de temps en temps de bien rester dans le cadre, de ne pas sortir du champ de la caméra (encore un support à utiliser en thérapie : ceux qui restent dans le cadre ou en sortent et comment…). Certains ordinateurs disposent à présent d’une caméra qui peut vous suivre dans vos mouvements.
On n’arrête pas le progrès !
Apprivoiser la technique.
Pour tirer profit de ces avantages, il convient de bien maîtriser l’outil. Une période d’apprentissage est indispensable. Étudier les fonctionnalités qu’offre chaque application (montrer un document, diffuser une musique, modes d’affichage, créer des salles en sous-groupes pour les groupes en ligne, etc…) peut élargir votre champ d’intervention, donner plus de confort à votre posture professionnelle. Au-delà de l’exploration des outils utilisés, plusieurs éléments sont à considérer.
- Votre position à l’écran.
Améliorez la façon dont vous apparaissez : trop près on pourrait voir vos narines, trop loin on a du mal à créer l’ambiance du contact. Votre interlocuteur sera plus à l’aise s’il voit votre visage et une partie de votre buste, si les mouvements de vos bras, de vos mains peuvent apparaître à l’écran.
Pour cela, il convient de placer votre visage dans la moitié haute de l’écran.
Et demandez-lui d’en faire autant. Sans quoi il aura l’impression que vous regardez vers le bas.
L’effet miroir de l’écran est donc utile à cet ajustement (avant de le masquer s’il vous gêne).
Cherchez à placer le visage de la personne juste à côté de votre caméra. Ainsi en dirigeant votre regard vers la caméra vous favorisez le confort du regard entre vous, c’est comme en face à face.
- La lumière.
Pour un meilleur confort, une meilleure qualité d’image, il est primordial d’avoir une source de lumière en face de vous. Une fenêtre, un ou plusieurs spots, ou une bonne lampe dédiée à cette pratique. Ce sera plus agréable pour vous et pour la personne à l’autre bout de l’écran.
- L’aménagement.
Il semble indispensable de pouvoir vous éloigner de la caméra, pour des mises en mouvement par exemple. L’installation de votre ordinateur doit tenir compte de ce possible effet. Avec par exemple un espace assez grand derrière vous, et/ou un système permettant de surélever votre ordinateur.
- Le son.
Si votre ordinateur ne présente pas une bonne qualité sonore, vous avez la possibilité d’ajouter un micro ou bien d’utiliser des écouteurs.
Dissiper les réserves
Tous ces détails demandent un temps d’adaptation. Si vous n’avez pas l’habitude de consulter en visio, vous êtes probablement en train de vous dire que c’est compliqué, que ce n’est pas pareil, ou que ça ne vous plaît pas de devoir tenir compte de tous ces points.
Compliqué ? Non. Pas pareil ? Pas tout à fait, c’est vrai. Mais c’est surtout différent et nouveau pour vous. Ça demande un effort et du temps.
Vous souvenez-vous de vos premières fois en présentiel ?
Comment vais-je accueillir mes clients dans la salle d’attente ? Puis dans mon bureau ?
Comment ça commence ? Quand dois-je annoncer mon cadre ? mon prix ? Ne vais-je rien oublier ? Comment je termine ? etc.
Si vous avez quelques années de pratique tout ça vous fait sourire. Ce sont devenus des réflexes même si chaque situation est nouvelle, vous êtes à l’aise avec la forme (et le fond….). Vous n’êtes plus préoccupé par les éléments de protocole mais centré sur votre métier : la relation.
Et bien c’est un peu la même chose avec la visio. Ce qui perturbe c’est la nouveauté, et par conséquent l’inconnu. Qui dit inconnu dit perte de contrôle, perte de confiance. L’outil une fois apprivoisé, on se sent plus à l’aise, on est capable d’observer les détails, d’utiliser les caractéristiques de ce nouveau format pour favoriser et enrichir le travail thérapeutique.
La phase suivante c’est d’aider nos interlocuteurs à utiliser à leur tour correctement ce moyen de communication. En montrant votre aisance, vous encouragez vos clients à développer la leur.
Tous vous en seront reconnaissants. Apprendre les rouages et éléments nécessaires à un échange de qualité à distance est précieux. Si vous aidez les autres à appliquer ces quelques bases, vous contribuerez au développement durable des relations de qualité en visio. Comment faire en sorte que chacun soit à l’aise avec ce mode d’échange et puisse l’utiliser facilement, avec plaisir et efficacité, en toute circonstance. Ce peut être un mode de communication complémentaire ou permanent. Quel que soit votre choix, ce mode de communication existe et permet d’établir le contact. (2)
Certaines personnes (professionnels ou usagers) considèrent que l’accompagnement thérapeutique en visio ne peut être efficace, que le contact n’est pas réel, que les possibilités sont limitées, qu’il manque des éléments d’observation, que l’engagement n’est pas le même, qu’on ne peut pas faire le même travail, que les thérapeutes à distance ne pensent qu’à leur confort.
D’autres pensent qu’il faut vivre avec son temps. Que ce nouveau mode de communication est devenu incontournable. Que sans ce nouveau moyen de nombreuses personnes n’auraient pas recours à la thérapie. Qu’il permet à des individus de se livrer davantage.
Contact et ajustement à la nouveauté
Personnellement je suis agréablement surprise par l’intensité des séances en ligne, tant en individuel qu’en groupe. Il s’agit de vrais contacts. Et vous qu’en pensez-vous ? Le débat se situe où ? En Gestalt on privilégie le contact, la qualité du contact.(3) Qu’est-ce qui fait contact ? Selon moi c’est la possibilité d’échanger en direct. C’est le passage de courant. C’est ce temps que l’on prend pour se dire, se rencontrer, sentir et ressentir. La visio répond à ces conditions. « Le contact c’est l’appréciation des différences » disait Perls.
Même si certains sens ne peuvent être partagés, du fait de deux environnements distincts, nous pouvons nous voir, nous entendre, ressentir et justement approfondir et expérimenter nos sens autrement, par l’évocation, la description. Le corps n’est pas absent, il peut être mobilisé. Et il est parfois même plus facile pour certaines personnes de se livrer à quelques mouvements, à nommer leur vécu corporel, à distance qu’en présentiel. Ce qui incombe au thérapeute c’est d’être créatif dans sa façon d’explorer les exercices ou le ressenti corporel à travers l’écran.
Les débats autour du sujet sont essentiellement alimentés, selon moi, par le caractère nouveau de cette forme de communication et la contrainte qu’impose cette nouveauté. Il s’agit d’une remise en question des bases de notre pratique. Le changement, l’audace, l’ajustement ne sont-ils pas inscrits dans les fondements de la Gestalt-thérapie ? Chaque époque connaît son lot de progrès ou de changements. La nôtre est marquée par les nouvelles technologies. Pouvons-nous les ignorer ? Ne pas les accueillir serait contraire à nos racines.
Ce qui me paraît fondamental est :
- de les apprivoiser, pour être au plus prés de nos clients, tout en aiguisant notre écoute et notre
posture via ce format ;
- d’aider nos clients/patients à les apprivoiser pour un meilleur passage du courant d’écran à écran ;
- de redéfinir notre cadre à partir de cette configuration.
De nouvelles règles sont à ajouter dans le cadre thérapeutique en visio comme notamment :
- l’engagement d’être seul dans l’espace ou la pièce utilisée ;
- se poser à un seul et même endroit le temps de la séance ;
- ne pas laisser des personnes (enfants, conjoints… circuler à l’écran) ;
- qui raccroche à la fin de la séance ;
- comment fait-on en cas de mauvaise connexion ;
- comment se prennent les rendez-vous ;
- le mode de paiement (quand et comment) ;
- l’utilisation de l’image et du son (garder la caméra) ;
- ne pas prendre son repas pendant la séance.
Chaque thérapeute choisit l’utilisation ou pas de ce nouveau mode de contact. Qu’il soit complémentaire ou exclusif, l’usage de la visio est à considérer comme un nouveau moyen de communication. Le maîtriser passe par un apprentissage, plus ou moins confortable selon chaque personne. Il présente des avantages et des inconvénients, tout comme le présentiel. Pour ma part, je consulte exclusivement en ligne depuis 2020, en individuel et en groupes. J’ai pu constater des dévoilements favorisés par le distanciel (de personnes qui consultaient en présentiel avant la période covid).
Cette nouveauté a quelque chose de vertigineux. Comme une première fois en fait ! Elle nous oblige au déséquilibre avant de retrouver nos marques. Changer de mode de communication, c’est forcément changer de repères. Comme changer de maison. En présentiel, on sait à quoi se rattacher, ce que l’on peut demander, ce qui nous est accessible. En visio tout est à recréer face à l’écran. Nous avons à revoir nos règles, nos limites, nos appuis et surtout faire preuve de créativité pour créer le contact, avec du même et du différent.
Bien ou pas bien ? La question n’est pas là. C’est un autrement, une autre forme de connexion.
Innover, ne pas juger. Accepter la différence et la nouveauté. C’est de cela dont il est question.
Reconnaître sa capacité ou incapacité d’adaptation, ses résistances. Que l’on choisisse de l’utiliser
ou pas, que vient dire la visio de notre façon d’être en contact ? De nos besoins en tant que thérapeute ? Ce thème est à poursuivre… (4)
Magali Barcelo
Gestalt-thérapeute depuis 25 ans - Formatrice en qualité relationnelle – Conférencière - Spécialiste des profils atypiques. Consulte exclusivement en ligne depuis 2020, en individuel et en groupes.
- Gianni Francesseti, « Distanciel versus présentiel », traduit par Elisabetta Caldera, in Du sexe dans nos cabinets, Cahiers de Gestalt-thérapie n°44, L’exprimerie, 2021.
- Conférence en ligne avec Chantal Masquelier et Daniel Cortesi (10 mars 2021). Replay disponible sur le site de la FPGT.
- Chantal Masquelier-Savatier, Que devient le contact en situation de pandémie ? , Revue Gestalt n°56, Crise sanitaire : penser, agir, s’ajuster, SFG, 2021.
- Livre de l’auteure en cours de rédaction.
À Dire n° 6 - Automne 2023 - Sommaire
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